Tocqueville

Une synthèse de la vie et de la pensée de Tocqueville
De
Sophie Vanden Abeele-Marchal
Le Cerf, collection Qui es-tu ?
Parution en juin 2023
208 pages
14 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Le livre fait partie de la collection « Qui es-tu ? », consacrée aux philosophes, une dizaine de titres parus, avec un objectif de vulgarisation universitaire dans une sorte de « Que sais-je » approfondi.

L’auteur décrit la mue d’Alexis de Tocqueville, descendant d’une vieille famille légitimiste, remontant à Guillaume le Conquérant, au service des Bourbons jusqu’à la Restauration, en un théoricien majeur de la démocratie libérale. Chez Tocqueville, il n’y a nulle révolte contre son milieu, mais une évolution de raison qui le conduira à un ralliement sans enthousiasme à la Monarchie de Juillet dès 1830.

Le point de départ est un voyage de 9 mois et demi aux Etats-Unis de mai 1831 à février 1832, dans le cadre d’une mission officielle, non rémunérée, d’étude du système pénitentiaire américain. Accompagné de son ami de toujours, Gustave de Beaumont, Tocqueville écrit avec lui un rapport en six volumes diffusé en 1833 sous le titre Du système pénitentiaire aux Etats-Unis et de son application en France. C’est un succès immédiat, avec de nombreuses traductions, qui assure la réputation des deux très jeunes auteurs.

De ce voyage, Tocqueville tire son livre majeur De la démocratie en Amérique qui lui assurera immédiatement une réputation mondiale, toujours aussi grande aujourd’hui. La première partie, consacrée à la description du système politique américain et de ses institutions, est publiée en 1835. La seconde partie, encore plus célèbre, publiée en 1840, élargit la réflexion à la théorisation des caractéristiques de la démocratie libérale. Ce livre fondamental vaut à Tocqueville d’être élu en 1838 à 32 ans à l’Académie des sciences morales et politiques et en 1842 à 36 ans à l’Académie française. 

Tocqueville est élu député de l’arrondissement de Valognes en 1839 et constamment réélu jusqu’à la révolution de 1848, qu’il a accueillie plutôt favorablement, appartenant à l’opposition modérée de centre gauche durant la Monarchie de Juillet. Malgré le passage du scrutin censitaire, représentant 2 % de la population, au suffrage universel masculin, Tocqueville est facilement réélu et devient durant cinq mois ministre des relations extérieures du gouvernement Odilon Barrot. Membre, puis président de la commission de révision de la constitution, il ne réussit pas à faire prévaloir ses vues en faveur du bicaméralisme à l’américaine.

Opposant de toujours à Louis Napoléon et au bonapartisme, touché par les premières atteintes de la tuberculose dès 1850, Tocqueville se retire dans ses terres après le coup d'État du 2 décembre 1851. Il y poursuit son œuvre avec son autre livre majeur L’Ancien Régime et la Révolution dont la première partie paraît en 1856. Cette œuvre restera inachevée par la mort prématurée de son auteur en 1859.

Points forts

  • L’émergence de la pensée de Tocqueville à partir de l’observation de la réalité concrète au cours de ses longs voyages aux Etats-Unis et en Angleterre, suivie d’un énorme travail bibliographique, est bien rendue. Il en est de même de la fécondation croisée entre le théoricien et le praticien de la politique.
  • Certains éléments peu connus sont avantageusement mis en lumière et témoignent de la clairvoyance de Tocqueville. Il se prononce dès 1839 en faveur de l’abolition immédiate de l’esclavage. Dans un discours prémonitoire à la tribune de l’Assemblée, moins d’un mois avant la chute de Louis-Philippe, Tocqueville annonce sentir un vent de révolution.
  • L’interpénétration entre certains éléments personnels de la biographie de Tocqueville, son œuvre et sa pensée est bien analysée.

Quelques réserves

On peut regretter que le contenu de l’œuvre de Tocqueville soit peu développé par rapport à la biographie dont certains éléments semblent accessoires. Même si le format probablement imposé de deux cents pages est une contrainte, il y a un certain déséquilibre au détriment de l’analyse de la pensée de Tocqueville.

Encore un mot...

L’actualité de Tocqueville sur le fonctionnement de la démocratie, y compris la décentralisation des pouvoirs, reste entière. On peut s’étonner qu’il ne soit pas davantage invoqué dans les débats français contemporains, beaucoup moins qu’ailleurs dans le monde. L’explication réside probablement dans la connotation négative du libéralisme en France et dans la propension à l’idéologie hors sol. Si Tocqueville est un grand théoricien, il part toujours du réel et non pas de son déni, de plus en plus prégnant en France. Il est l’anti-populiste par excellence.

On peut également se demander comment Tocqueville aurait réagi à l’évolution vers l’empire libéral à partir de 1860. Si l’on prend l’exemple de son ami Gustave de Beaumont dont il était très proche, un ralliement paraît peu probable. En effet de Beaumont s’est présenté sans succès en 1863 contre le candidat officiel, en faisant néanmoins un résultat honorable dans un département dont il avait été l’élu sous la Monarchie de Juillet et la Seconde République.

Une phrase

  • « Si Tocqueville a eu une certitude, c’est qu’il avait devant lui un mouvement de fond, immense, inédit, imprévisible autant qu’irrésistible, qui imposait la dissolution de l’ancienne société…Tocqueville aura été un penseur de la crise, un penseur entre deux états de société, entre le passé et l’avenir. » page 27
  • « Ainsi, pour Tocqueville, devint-il légitime d’aimer, contre toute tradition, l’égalité par instinct et par raison. » page 58
  • « Plus que jamais il est rebuté par l’importance que les Anglais accordent à l’argent. » page 115
  • « La liberté n’est pas dans la nature de la démocratie : elle impose un effort de chacun. Ce sont les institutions qui doivent en réguler les passions, en commençant par convaincre les citoyens que leurs intérêts peuvent converger avec ceux des autres, selon ce que l’on appelle la doctrine du bien entendu. » page 153

L'auteur

Sophie Vanden Abeele-Marchal est maître de conférences à la Sorbonne et chargée de cours à Sciences Po. Elle est spécialiste de la littérature du XIXème siècle, en particulier le romantisme. Sa thèse de 1998 a porté sur Virginie Ancelot, importante salonnière du XIXème siècle, auteur prolixe de pièces de théâtre comme son mari, et romancière. Elle a publié la correspondance d’Alfred de Vigny. Elle s’intéresse aux femmes de lettres et à la correspondance des écrivains.

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