V13 Chronique judiciaire

Sur le terrible procès du Bataclan suivi durant 9 mois: un récit absolument nécessaire… et courageux !
De
Emmanuel Carrère
P.O.L
Juillet 2022
363 pages
22 €
Notre recommandation
5/5

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Après avoir donné sa chronique hebdomadaire au Nouvel Observateur pendant tout le procès du Bataclan, dénommé plus justement V 13 ( pour vendredi 13 novembre 2015 ), Emmanuel Carrère a réuni ses textes, en les remaniant et complétant quelque peu, pour en faire ce livre.

On y trouve tout l’art de cet auteur qui sait raconter des histoires actuelles avec émotion. Ce qui lui permet, ici, de nous faire partager - et c’est dur - l’immense douleur des victimes mais aussi la vie d’une audience judiciaire très ou trop longue avec ses tics, ses bizarreries, ses ridicules et ses incongruités, ses longueurs et ses grands moments ; il s’intéresse aussi, bien sur, aux coupables, en essayant de comprendre - mais le peut-on ?

C’est la vision d’un néophyte à la curiosité intelligente qui regarde et écoute, avec empathie, ce qui nous semble, à bien des égards, monstrueux.

Points forts

Il faut tout d’abord reconnaître à Emmanuel Carrère un réel courage pour avoir suivi avec assiduité ce procès terrible qui a duré neuf mois. Lui reconnaître aussi l’intérêt vrai qu’il porte à tous les acteurs actifs ou passifs de cette tragédie et le style vivant et humain qui est le sien et qui fait de son livre quelque chose qui, malgré les horreurs et les répétitions, est facile à lire.

Enfin, dans un autre registre, Emmanuel Carrère décrit parfaitement ce qu’il y a de parfois contestable dans les interventions des avocats. Mais en rendant aussi, magnifiquement, la grandeur de ceux qui défendent avec courage et talent les plus indéfendables ainsi que de ceux, c’est peut-être encore plus difficile, qui ont su apporter aux victimes une grandeur qu’elles n’avaient pas pu, elles-mêmes, faire ressortir. Sur ce point il ne faut pas manquer ( pages 297 et 298 ) le témoignage d’un survivant qui dédouane celui qui l’a précédé et  s’accusait d’avoir piétiné des corps pour s’enfuir. ( voir ci-après " une phrase " ).

Mais ce livre est aussi l’occasion de se poser la question de ces grands procès du terrorisme dont la structure judiciaire n’est pas adaptée. Ne faudrait-il pas dissocier l’écoute indispensable des victimes et la nécessaire recherche des culpabilités entraînant les condamnations ?

La première audience se ferait dans des lieux aptes à recevoir tant de public, sans les contraintes de la procédure mais avec l’écho des médias, et la seconde serait dévolue à l’institution judiciaire ainsi allégée.

Quelques réserves

Il y a aussi des partis pris chez cet intellectuel qui le font aller parfois trop loin dans l’empathie qu’il accorde à certains coupables ainsi qu’à son choix de victimes dont l’attitude et les déclarations vont dans le sens de ce qu’il est convenu d’appeler le Bien.

Cela lui fait préférer ceux qui disent : « vous n’aurez pas ma haine » ( mais qu’est-ce que cela veut dire d’autre que « Moi je suis dans le camp du Bien » ? ), à ceux qui crient vengeance, et qu’il faut, aussi, c’est bien le moindre, respecter.

De ce point de vue, l’auteur refuse de voir ce qu’il y a de scabreux dans les contacts trop chaleureux entre certaines victimes (toujours les mêmes) et les coupables les moins horribles.

Et il va beaucoup trop loin lorsque, rajoutant à ses chroniques initiales qui sonnaient beaucoup plus justes parce que rédigées " à chaud ", il évoque son livre précédent, " Yoga ", dans lequel, comme souvent, il parle beaucoup trop de lui avec impudeur et particulièrement de son aventure, douteuse, avec des émigrés sur une île grecque, entre vacances et compassion.

Encore un mot...

Ce qui fait l’intérêt de ce livre, c'est sa nécessité. Il est indispensable en effet que nous écoutions tous les victimes et que leurs malheurs soient connus de la postérité.

Une phrase

" Juste après le jeune homme rongé de culpabilité, c’est un autre survivant du Bataclan, nettement plus détendu, qui a commencé son témoignage en disant qu’il venait d’entendre celui du jeune homme et qu’il voulait lui dire ceci : moi, quelqu’un m’a marché dessus, et j’ai eu deux côtes cassées. Seulement deux côtes cassées. Alors c’est peut-être toi qui m’as marché dessus, peut-être un autre, on ne le saura jamais, mais si c’est toi il faut que tu le saches : ce n’est pas grave, deux côtes cassées. Je m’en suis tiré, je suis en vie, je suis heureux, je ne t’en veux pas, tu as fait comme tu as pu, on a tous fait comme on a pu, j’espère que tu es encore dans la salle pour entendre ça. "

L'auteur

Emmanuel Carrère est écrivain et journaliste. Ses romans ou documents sont souvent proches de l’actualité et ont pour la plupart eu un grand retentissement. C’est le cas notamment de D’autres vies que la mienne , et de Le Royaume  consacré par Le Monde comme meilleur livre de l’année en 2014.

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