VOLODYMYR ZELENSKY, dans la tête d’un héros

Ou comment un comédien humoriste devenu chef de guerre joue les premiers rôles sur la scène internationale
De
Régis Genté et Stéphane Siohan
Robert Laffont
Parution le 19 mai 2022
198 pages
19,90 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

  • Il s’agit de la première biographie consacrée au tout jeune Président de la République d’Ukraine, Volodymyr (ou Wladimir !) Zelensky. Certes, il fait la une de toutes les presses du Monde depuis un certain 24 février, date de l’entrée en guerre de la Russie franchissant bruyamment les frontières du Nord et de l’Est du pays. On sait que le peuple s’est  rangé tout entier derrière son héros brandissant l’étendard bleu et jaune de la résistance ukrainienne. On sait aussi que cet homme de fer appelle toutes les chancelleries d’Europe, et plus encore, à son secours. Des armes, toujours plus d’armes… mais d’où vient Volodymyr Zelensky et surtout, où va-t-il et jusqu’où ira-t-il ? Quand le livre débute, le petit Volodymyr a 7 ans…et déjà il fait hurler de rire tout son entourage. Amuseur public et chef de bande, c‘est sa double vocation.
  • Avec force pastiches et imitations, Zelensky va écrire, produire, diffuser sur la troisième chaîne ukrainienne, la 1+1, un feuilleton irrésistible qui va exploser tous les records d’audience. Il s’agit de Serviteur du peuple qui a conquis 20 millions de téléspectateurs sans compter 90 millions de Youtubeurs. Mais bientôt la réalité va dépasser la fiction. A la faveur d’un renversement de gouvernement, un de plus dans la suite de Maïdan, les sondages voient la popularité de Zelensky passer de 10% à 35% en 3 mois, en l’absence de tout programme politique, sinon nettoyer les écuries d’Augias.
  • Faisant mieux que le Président fictif Vassy Goloborodko qu’il incarnait à l’écran, le candidat Zelensky, sorte de Coluche ou de Beppe Grillo ukrainien, rafle la mise le 21 avril 2019, avec 73% des voix, un score quasi soviétique face au candidat représentant de l'oligarchie au pouvoir, le milliardaire « monsieur chocolat »,  Petro Porochenko. Ironie suprême orchestrée par Volodymyr, avant la bataille et un débat public devant 80 000 personnes réunies dans le stade olympique de Kiev, le nouvel  ami du peuple somme son adversaire de faire un test sanguin pour prouver qu’il n’est pas toxicomane ! « Je suis votre verdict » tonne Zelenski.
  • Depuis sa victoire  Zelensky endosse la tenue du chef de guerre incontesté … celle d’un simple homme de troupe : tee shirt sous un treillis de camouflage. Il arbore, quoiqu’il arrive, un sourire doux et confiant. Tout le peuple ukrainien est derrière lui. On ne lui pardonnerait pas la moindre faiblesse ni le plus petit marchandage avec les Russes. Le livre est très clair et le démontre avec quelques interviews d’ex-opposants notamment aujourd’hui rassemblés comme un seul homme derrière le chef et sa garde rapprochée.

Points forts

Une petite leçon d’histoire.                                                                                                                                 Fort opportunément les auteurs nous rappellent le contexte  avec au moins deux faits historiques et autant de mises au point plus la dimension psychologique du conflit.

  • La tentation nazie ?
    Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 5 millions d’Ukrainiens ont combattu au sein de l’armée rouge contre la Wehrmacht tandis que 20 000 d’entre eux rejoignaient les rangs de la SS ou des armées allemandes. Il est vrai que l’organisation des nationalistes ukrainiens a combattu autant contre les soviétiques que contre les nazis entre 1941 et 1945. Les accusations et prétextes formulés par le président russe relèvent d’un sinistre légende.
  • La capacité de résistance du peuple ukrainien. Il faut savoir que, longtemps écartelé entre l’empire de Russie et le royaume de  Pologne, l’Ukraine, unie, combative, éprise de liberté puise son énergie et sa détermination dans ses racines : les cosaques zaporogues, ces derniers ayant dirigé le pays (sa moitié Sud actuelle), du 15ème au 18eme siècle pour finir dans l’escarcelle de la grande Catherine II. Les Ukrainiens bien qu’assimilés pour un grand nombre ne l’ont jamais accepté, d’autant que le petit père des peuples, Joseph Staline les a opprimés et martyrisés (« l’Holodomor », autrement dit la famine artificielle provoquée : près de 7 millions de morts, « le génocide  soviétique »), plus le grand déplacement des élites, le complot des blouses blanches etc.
  • Le berceau de Volodymyr au cœur du conflit.
    Zelensky est originaire de Krivoï-Rog (cf. nos cours de géographie), au centre-sud du pays, enjeu majeur des combattants des deux bords. Il y a coulé des jours heureux et studieux dans une famille d’apparatchiks d’État, moulée dans la norme soviétique.  Cette ville est la plus longue du monde (67 kilomètres) car elle suit en les contournant les terrils et les mines. C’est la capitale européenne du fer à quelques kilomètres du Donbass. Krivoï-Rog tombe et l’Ukraine sombre aux mains de l’agresseur.
    Attaquée au tout début, la ville a résisté et repoussé l’ennemi quatre fois. Krivoï-Rog, obsession majeure de Poutine et souvenir impérissable de Volodymyr Zelensky, est tout un symbole. Les auteurs nous la font découvrir avec précision et pédagogie. Ville frontière entre deux mondes : slave et russophone d’un côté, européenne et ukrainophone de l’autre. Poutine/Zelenski se livrent à distance une partie de bras de fer dans une cité de 600 000 habitants qui ne veut pas vivre le destin de Marioupol.

Quelques réserves

Ouvrage documenté mais qui attache plus d’importance à la face cachée de l’homme et à  ses origines qu’à la période en cours de l’homme d’action et qu’aux souffrances du peuple ukrainien. Et quid de l’avenir ? Certains pourront regretter cette absence de vision prospective.

Encore un mot...

Les auteurs le soulignent : «A la différence de la Pologne ou de la Roumanie, l’Ukraine n’a pas su ou pu prendre le train de l’indépendance sous l’ère Gorbatchev. Celle-ci n’est intervenue qu’en 1991, (tout à la fin), un peu par inadvertance ». Pas de Lech Walesa ni de  Vaclav Havel en Ukraine. L’Ukraine fut longtemps instrumentalisée par la Russie soviétique. Il a fallu attendre la révolution de Maïdan pour constater l’émergence d’un souffle libératoire puissant (la jeunesse et le rêve européen). « En trente ans personne n’aura autant fait pour la consolidation de la nation ukrainienne que Vladimir Poutine » affirment Genté et Siohan                                                                                 

Mais que se passe-t-il vraiment dans la tête du héros Zelensky (« le saint »  pour ses compatriotes) ? Son courage et son abnégation sont salués par le monde entier et surtout par son peuple martyr, sa croisade mondiale (et ses appels de fonds..) contre le totalitarisme ne manque pas de panache mais, disons-le : n’est-il pas temps  de s’asseoir autour de la table « quoiqu’il en coûte »… maintenant ? Le documentaire de BHL avec ses images de désolation diffusé (Arte.tv) au moment d’écrire ces lignes devrait peut-être nous faire réfléchir.

Une phrase

(mot de la fin (!))

 « Ursula von der Leyen remet à Volodymyr Zelensky un questionnaire qui lui permettra de soumettre au Conseil Européen avant l’été la proposition de faire de l’Ukraine un Etat candidat à l’accession à l’Union Européenne. « La procédure ne durera pas plusieurs années, comme c’est souvent le cas, mais plutôt quelques semaines », le rassure la femme d’Etat Allemande. « Nos réponses seront prêtes dans une semaine ! » lui lance un Volodymyr Zelensky souriant ». (page 172)

L'auteur

  • Régis Genté est correspondant pour RFI, Le Figaro et France 24 dans l’ancien espace soviétique. Il est installé en Géorgie.
  • Stéphane Siohan, journaliste lui aussi, est correspondant à Kyiv (Kiev) pour Libération depuis 2013, Le Temps et RFI. Il couvre la guerre entre la Russie et l’Ukraine  et suit l’ascension du phénomène Zelensky depuis le début.

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