La vengeance m’appartient

Une femme puissante … et fragile à la fois. Un ton personnel et original dans notre littérature.
De
Marie N’Diaye
Gallimard -
232 pages -
19,50 €
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Thème

Histoire de famille, histoire de vengeance, histoire d’appartenance. Me Susane est avocate à Bordeaux, entre un métier difficile (les clients ne se bousculent pas), des parents aux contours vagues, une employée de maison sans papier et envahissante, un ex-petit ami et néanmoins confrère affublé d’une petite fille.

Un jour, Me Susane (dont on ne connaîtra jamais le prénom) reçoit la visite d’un homme qui lui demande de défendre sa femme accusée d’infanticides. Elle reconnaît en lui l’homme qui, alors qu’elle n’avait que dix ans, donna un sens à sa vie.

Points forts

Comme toujours (mais on ne se lasse pas bien au contraire de voir l’auteure, livre après livre, tracer un sillon personnel et original dans notre littérature), Marie N’Diaye traque ses obsessions. La famille est haïssable (ses parents tenaient un petit commerce, clin d’œil à Annie Ernaux ?) et il faut s’en échapper à tout prix. Cette famille, c’est la sienne, mais c’est aussi l’écho de celles des autres personnages de cette histoire. Comme si aucun ne pouvait échapper à la toute-puissance castratrice de son cercle familial.

Personnage magnifique de femme puissante et fragile à la fois, la nouvelle héroïne de Marie N’Diaye, révèle, au fur et à mesure que l’intrigue se déploie, de multiples cicatrices qui ne demandent qu’à se rouvrir. Les contours de sa personnalité se révèlent de plus en plus incertains au fur et à mesure que les questions l’assaillent et l’obligent à sortir de la zone de confort qu’elle a patiemment construite. L’irruption de Gilles Principaux (quel nom, un roman à lui tout seul !) ramène Me Susane à un passé qui devient le prisme à travers lequel le présent se déforme et se transforme.

La vengeance m’appartient, crée plusieurs fils narratifs qui construisent l’histoire. Évidents ou improbables, ils dressent une nouvelle cartographie des rapports humains entre tous les protagonistes. Certaines relations volent en éclat alors que d’autres se nouent et enrichissent leurs personnages (mais pour combien de temps ?).

Ces incertitudes font du livre une histoire qui ouvre sans cesse sur d’autres intrigues grâce à une construction magistrale. Lorgnant même vers un certain onirisme, où tout devient possible, chaque réponse débouche sur une autre question qui elle-même relance le mystère de nouvelles relations, de nouveaux rapports …

Quelques réserves

Pas de point faible. Le livre joue magnifiquement sur tous les registres.

Encore un mot...

Chez Marie N’Diaye, les hommes sont veules le plus souvent et les femmes puissantes. Elles n’ont d’autres choix que de prendre leur destin en mains sous peine de disparaître. L’héroïne de La vengeance m’appartient perpétue cette tradition. L’auteure est de moins en moins seule puisque Trois femmes puissantes qui a valu à son auteure le Goncourt en 2009 a également essaimé sa propre descendance (Léa Salamé – Femmes puissantes ou Johanna Katrin Friariksdottir - les femmes vikings, des femmes puissantes …)

Une phrase

« Chaque jour je pensais au moment où il rentrerait et j’avais peur. Je ne voulais pas qu’il se sente contrarié, énervé parce que les choses n’étaient pas bien en place. Il était gentil, oui jamais il n’avait une parole méchante. Mais je pouvais sentir sa déception, son mécontentement, quand je n'avais pas  bien fait, on sent ces choses-là dans les couples. On ne dit rien mais on sent tout, on comprend tout.
Il apparaîtrait que Maryline, après que ses enfants étaient nés et qu’elle avait cessé de travailler (suivant la suggestion de Gilles, affirmait-elle) s’était enfermée dans l’idée que, n’exerçant plus son métier de professeure de français au collège, elle devait montrer à son mari, à sa mère (fâchée que sa fille cessa à travailler, renonça à être brillante et indépendante), et à ses sœurs qu’elle exerçait, comme mère de famille, un métier aussi louable, difficile, digne de respect que d’être professeure. »

L'auteur

Marie N’Diaye a écrit 21 romans (dont 3 pour la jeunesse) et 11 pièces de théâtre. Une œuvre construite autour d’une histoire personnelle singulière (qui n’est pas sans rappeler les obsessions liées à la filiation qu’on retrouve chez Linda Lê). Son père sénégalais ayant quitté le foyer familial alors qu’elle n’a qu’un an, elle ne le reverra que trois fois et ne ressent pas de sentiment d’appartenance à une double culture.

Son œuvre, traversée par ses personnages de femmes résilientes, lui a valu de recevoir, notamment,  le Prix Femina (Rosie Carpe, éditions de Minuit, 2001) et le Goncourt (Trois femmes puissantes, Gallimard, 2009) et le prix Marguerite Yourcenar pour l’ensemble de son œuvre en 2020.

Le clin d'œil d'un libraire

Librairie LE FAILLER, à Rennes : presque aussi ancienne que le Parlement de Bretagne ! 

Une librairie plus achalandée que LE FAILLER avec ses 90 000 références, ça n’existe pas... ou presque pas !  Plus sérieusement, cette institution rennaise fondée en 1925 et qui compte 35 collaborateurs fait partie des 10 plus grandes librairies de France. Quasiment, un monument historique, au cœur du vieux Rennes. Les déclarations qui pouvaient laisser penser que le livre n’est pas essentiel en ont ici choqué plus d'un ! «Or pendant le premier confinement nous avons eu tellement de témoignages de gens isolés qui ont exprimé le besoin de livres pour s’évader ou s’apaiser»  nous confie Dominique Fredj, à la fois ému et tout en colère contenue, poursuivant : "particulièrement dans cette période anxiogène  où nous sommes en quête de repères, à la recherche de nos racines, le livre nous permet de poursuivre... et de survivre".

Chez Le Failler on a joué, bien sûr, le jeu du Clic et Collect en maintenant le lien avec les lecteurs. Un exemple ? Les conseils des libraires étaient préenregistrés sur leur site internet. Dominique Fredj reste positif : «Quand on fera le bilan, on pourra dire que cette crise nous a beaucoup appris sur la chaîne de solidarité créée spontanément autour du livre et l’attachement des gens à leurs librairies indépendantes». On n’arrête plus Dominique Fredj et sa librairie est éternelle, contre vents et marées. Normal : le bâtiment à pans de bois qui l’abrite,  juste à côté du Parlement, date de 1595, un des derniers qui réchappa à l’incendie qui ravagea la capitale bretonne en 1710.

Librairie Le Failler, 35 rue St Georges 35000 Rennes. Tél. 02 99 87 87 87

Texte et interview par Rodolphe de Saint-Hilaire, pour la rédaction de Culture-Tops.

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