Credo

Une profession de foi pleinement aboutie, entre lyrisme et introspection
De
Pierre de Bethmann quartet
Maison de disques : ALEA
Notre recommandation
4/5

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Pierre de Bethmann fait partie de nos tous premiers pianistes de jazz actuel. Il a enregistré de nombreux disques, tant en trio qu’en quartet qui, tous, témoignent d’une grande maîtrise instrumentale et font la part belle aux compositions originales du leader. On ne peut affirmer que le présent opus, le dernier en date, soit meilleur que les autres ; il marque simplement un jalon, comme les précédents et ceux qui suivront. Je n’hésite pas à dire qu’il participe d’une œuvre dont les maîtres mots pourraient être : ascèse, dépouillement et introspection.

L’école française du piano jazz, si je puis risquer cette expression curieuse à plus d’un titre, peut s’enorgueillir de talents multiples, mais nul n’a approfondi à ce point, avec une telle constance et la même veine qui semble inépuisable, un semblable cheminement intérieur.

Pierre de Bethmann a choisi ce type de musique, à la fois savante et complexe, qui peut être considérée comme l’un des points d’aboutissement logique de la brève histoire du jazz. Elle mêle les fondamentaux de la tradition afro-américaine avec le propre héritage de la musique européenne. En cela, notre pianiste est sans doute fidèle à l’un de ses maîtres : l’immense Martial Solal.

Il joue ici dans une formation qui lui est familière : le quartet saxophone ténor-piano-basse-batterie.

Il a proposé à son partenaire de toujours, le saxophoniste David El Malek, une voix unique et en devenir de la scène française, de lui donner la réplique. On pense, en les écoutant, à un autre duo d’une longévité comparable : celui du pianiste Thelonious Monk et du fidèle Charlie Rouse au saxophone ténor. Mais, disant cela, je souhaite écarter tout malentendu. Il ne s’agit pas de faire référence à une quelconque parenté stylistique, moins encore, à je ne sais quelle influence musicale. Il s’agit d’un simple analogon, comme disaient les anciens Grecs.

Pierre de Bethmann, comme Monk, propose un répertoire exigeant, des thèmes à la métrique parfois complexe, avec un dispositif harmonique profondément ancré, qui nécessite de la part du souffleur une grande discipline. En face de lui, en dialogue et interaction constants, David El Malek offre le jeu d’un ténor en pleine possession de ses moyens, d’un lyrisme intense et d’une sensibilité à fleur de peau, jusqu’à ce choral final, qui porte ce nom, où il parvient à détimbrer son attaque et à atteindre la pureté d’un souffle boisé. Le saxophone joue en fusion intime avec les accords du synthétiseur, ce qui nous permet de réfléchir opportunément à la pertinence du progrès technique en musique.

Points forts

  • Pierre de Bethmann atteint l'épure. Comme tous les grands stylistes de l’instrument, il ne fait nul étalage de sa technique pianistique. Il peut laisser passer plusieurs soupirs entre deux passages de la main droite, il développe de longues phrases sinueuses tandis que son usage des accords de main gauche est parcimonieux, pour mieux laisser entendre la pulsation de la section rythmique. L’utilisation conjointe du synthétiseur, dont Paul Bley fut l’un des grands initiateurs au milieu des années soixante-dix, avec ces halos ou nappes sonores si caractéristiques, permet au pianiste de diversifier les couleurs et les timbres.

  • Cette musique, où alternent des thèmes aux élégantes arabesques composés par le leader et des riffs simples et lancinants de quelques notes, laisse aussi place à des improvisations collectives débridées, comme dans Credo ergo sum, avant le retour apaisé au thème initial, parfois précédé d’une résolution en accords profonds (PFH).

Quelques réserves

On a affaire à des musiciens expérimentés, qui ont l’habitude de jouer ensemble une musique sans concession, dont la référence demeure un jazz swinguant, mais dont l’esprit aventureux pose les linéaments d’une conception résolument contemporaine de la musique

Encore un mot...

L’art sans affectation de Pierre de Bethmann se situe au-delà de toute démonstration ostentatoire, de toute compromission. Il a su réunir autour de lui des partenaires qui partagent sa conception d’une musique savante, parfois sophistiquée, mais dont les accents, soutenus par une rythmique aux fausses allures binaires, sont tantôt chantants tantôt recueillis. Cette musique est comme une hypostasie de l’ouvert, une offrande musicale sans limite. 

L'auteur

Pierre de Bethmann, après une formation de pianiste classique, un diplôme d’HEC et un séjour à la Berklee School, abandonne la gestion et le management et décide de se consacrer au jazz.

Dès le milieu des années quatre-vingt-dix, il forme un premier trio, Prysm, avec lequel il enregistrera quatre disques.

Il joue et enregistre avec la fine fleur de la scène hexagonale, qu’il s’agisse des saxophonistes Dave Liebman, François Jeanneau, Rick Margitza ou Pierrick Pedron, des bassistes François Moutin ou Patrice Caratini ou des batteurs Aldo Romano ou Stéphane Huchard.

Pierre de Bethmann est l’auteur d’une importante discographie où il se présente dans diverses formations qui vont du trio au quartet ou au quintet, avec parfois l’adjonction d’une guitare ou d’une vocaliste.

Il a publié une série remarquée, pour le moment constituée de cinq volumes et intitulée Essais, en trio, accompagné d’une basse et d’une batterie. 

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