Gracias a la vida

Gracias a la vida, désigne tout aussi bien une profession de foi qu’un programme. Acte d’amour envers la vie dans son entièreté, avec ce qu’elle peut contenir de joies et de drames entremêlés, ces remerciements sont une ode à la beauté du monde qu’ils invoquent pour lui rendre grâce. Car ce que la vie nous offre, il faut être capable de la lui rendre en un geste d’offrande. Telle est la trame philosophico-éthique qui affleure dans le projet artistique d’Anne-Lise Polchlopek. Et cette ambition de haute tenue mettant à contribution aussi bien les ressources d’une sensibilité musicale exacerbée, qu’une intelligence lumineuse des textes, nous emmène sur des chemins de crête où nous pouvons goûter l’air raréfié des cimes. Mais celles-ci n’ont rien à voir avec quelque élitisme artistique auquel ne seraient conviés que des happy few. C’est même tout l’inverse. Car la musique savante et la musique populaire s’inscrivent dans un continuum où l’on passe insensiblement de l’une à l’autre sans avoir le sentiment de traverser des frontières ou plus exactement dont les frontières sont là pour être sinon dynamitées, du moins dépassées au profit d’un univers plus large. 

Ainsi sommes-nous conviés à un florilège, littéralement et littérairement un recueil de fleurs, qui dessine un paysage musical aussi coloré que varié où « les sons, rythmes, formes, époques, pays se répondent, s’influencent, se complètent », constituant ainsi un continent sonore traversé par autant d’échos, de rappels, d’allusions… où l’on verra que de Ronsard, mis en musique de Pauline Viardot à Violeta Parra, de Richard Strauss à Manuel de Falla, de Gabriel Fauré à Jacques Brel, s’élaborent de mystérieuses correspondances. Et l’on empruntera aussi des passages secrets qui, de lettres d’amour en lettres d’adieu et d’« éclats de sons » en éclats de rire, nous feront découvrir des parentés insoupçonnées. Morceaux choisis non par hasard mais sous l’effet d’une nécessité intérieure, ils nous disent quelque chose d’essentiel d’Anne-Lise Polchlopek : sa générosité foncière qui relève du don pur et simple. Dans la surabondance de sa gratuité, en un geste d’offrande de ce que l’artiste a de plus précieux, elle nous entrouvre les portes de son intériorité et nous invite à la suivre dans sa recherche d’absolu artistique.

Grâce à son message hautement humaniste, au sens le plus profond, c'est-à-dire le plus universel, Anne-Lise Polchlopek ouvre des possibilités d’appareillages pour des terres lointaines, en réalité si proches. Et dans son itinéraire artistique guidé par l’intelligence du cœur (car c’est toujours le cœur qui dit merci), elle nous prend à témoins d’une forme de quête spirituelle : pas d’une spiritualité au sens étroitement religieux du terme mais plutôt au sens de dépassement de soi-même en une forme d’accomplissement personnel. De sorte que par un phénomène d’identification, ce qui lui arrive nous arrive aussi, comme par surcroît, en une forme de partage !