
Trees on Wheels
15 €
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Thème
Samuel Ber a tout juste trente ans. Sa modestie lui interdira de vous l’avouer, mais il joue de la batterie depuis l’âge de six ans et fut un enfant prodige, à l’instar de Tony Williams qui fut engagé à l’âge de seize ans, en 1963, par Miles Davis in personae et mieux encore Jacques Thollot, qui reçut l’enseignement de Kenny Clarke, comme Sam celui de Franck Agulhon, et était accompagné encore enfant par son père pour avoir l’autorisation de pénétrer dans les clubs. Sam ne le connaissait pas. Je lui ai conseillé d’aller y voir, comme l’on dit. Ils ont peut-être un maître en commun en la personne d’Ed Blackwell qui joua avec Don Cherry et, au-delà, Max Roach, pour le sens de la mélodie et des figures polyrythmiques.
Les autres maîtres déclarés de Sam sur l’instrument sont Roy Haynes, qui vient de nous quitter à l’âge canonique d’un siècle de vie et dont nous nous souvenons, Sam et votre serviteur, du crépitement de son jeu sur la caisse claire dans My favorite Things, derrière John Coltrane en 1963 - année bénie des Dieux- au Festival de Newport ; Jack Dejohnette qui fit les beaux jours du trio de Keith Jarret pendant plusieurs décennies. Sam reste fasciné par un album du trio, très libre d’approche, paru sous le titre Always let me go, avis aux amateurs ; Paul Motian qui, tout en ayant évolué au cœur même de la tradition, a développé une voie toute personnelle : son sens de la pulsation, son approche de la phrase, et la manière dont il accorde son instrument ; les grands noms de la batterie contemporaine sont, pour Sam, Nasheet Waits Tom Rainey, Billy Hart, Gerald Cleaver, Eric McPherson, Joey Baron, Jeff Watts, Gerry Hemingway, Jim Black...
Lorsque vous citez le nom de Samuel Ber aux musiciens européens épris de jazz créatif, ils le connaissent tous et ne tarissent pas d’éloges à son endroit.
Il forme depuis dix ans un trio transatlantique avec Tony Malaby, l’américain et Jozef Dumoulin, son compatriote belge. Lorsque Tony sut qu’il ferait, au printemps 2025, une incursion dans notre pays à l’occasion de sa tournée européenne, il reconstitua immédiatement son trio américano-francophone qui joua une fois à Lyon et qui signa ce deuxième album, enregistré il y a trois ans.
C’est Sam qui en eut l’idée, qui l’a produit et sur lequel figurent nombre de ses compositions. Cette alliance intergénérationnelle rassemble, outre Sam, Jozef Dumoulin (50 ans) qui s’exprime aussi bien sur le piano acoustique que sur les claviers électroniques et Tony Malaby (61 ans), professeur au Berklee College of Music à Boston. Surtout, Tony est l’un des plus grands saxophonistes actuels. Un musicien français qui a joué avec lui considère qu’on n’avait pas entendu une telle créativité au saxophone ténor depuis Rollins et Coltrane. Je vous laisse méditer sur la portée de cette assertion.
Points forts
Cette musique, disons le d’emblée, est sans concession, elle se situe aux confins de l’idiome jazzistique. Roland Barthes, s’exprimant naguère sur une certaine littérature contemporaine disait d’elle, non sans une pincée d’humour, qu’elle était illisible, mais qu’elle était scriptible, sans doute l’une des raisons pour lesquelles Antoine Compagnon, son disciple depuis longtemps affranchi, le classe au rang de antimodernes. Si l’on appartenait à ce camp, ce qui n’est pas mon cas, on pourrait prétendre que cette musique, pour être jouée, n’en serait pas moins inaudible.
On a dit cela du free jazz dans les années soixante. Avant que les plus rétifs à cette musique n’aient été obligés, des années plus tard, de reconnaître qu’il avait élargi les perspectives. D’une certaine manière, nos trois amis prolongent cette lignée à cette différence près que, contrairement à leurs devanciers, ils savent tout de l’histoire du jazz et ne prétendent pas du passé faire table rase. Ils maîtrisent à la perfection leur instrument, mais ils n’ont aucun goût pour les formules rabachées, et toute cette sorte de commémorations musicales. Au contraire, ils sont des défricheurs, d’insociables expérimentateurs.Je n’hésite pas à dire ici que c’est grâce à des musiciens comme eux que ce que l’on appelle le jazz reste un art vivant. Ils peuvent jouer une musique totalement improvisée ou à partir de thèmes, comme dans le présent opus, mais au bout du compte le résultat obtenu à partir de ces deux approches est sensiblement identique.
Lorsque Tony Malaby, le prophète des temps nouveaux, est venu à Paris au printemps, il a joué avec deux quartettes distincts dont le seul élément commun était le contrebassiste Bruno Chevillon. Ce que m’ont dit plusieurs musiciens ayant participé à l’aventure, sur la manière de procéder de Tony Malaby, était concordant. On fait la balance, on va se restaurer et, au cours des conversations, il est question de tout, sauf de la musique qui va être jouée. Troisième acte : on joue. Le risque est total, pas de schéma préconçu, pas de répertoire.Mais comme on a affaire à des maîtres dans leur art, ils viennent avec leur bagage, c'est-à-dire leur immense expérience et tout un savoir patiemment accumulé. Surtout, cette musique de l’instant repose sur une intense écoute mutuelle et nul ne sait quel chemin prendra la musique parce qu’elle résulte d’une alchimie collective.
Pour Trees on Wheels, l’auditeur se laissera prendre par les ensorcellements des claviers de Jozef Dumoulin, son travail sur la matière sonore, qu’il malaxe, triture, distord, ses piratages multiples et parfois bruitistes, ses interférences impromptues, ses références multiples et intériorisées à la musique contemporaine.
L’auditeur sera aussi attentif au jeu plein de subtilités de Samuel Berr qui n’est pas présent pour marquer servilement un quelconque tempo, même si ce tempo existe bel et bien, mais de manière sous-jacente ou implicite. Il doit être considéré comme un soliste à part entière, au même titre que les deux autres et ses interventions peuvent en certains endroits donner un cours nouveau à la musique. Il faut écouter son A drum solo, c’est une petite merveille de sensibilité, de concentration sur l’écho sonore. Je veux dire que Sam écoute ses figures pour imaginer celles qui suivent.
Quant à Tony Malaby, qui pratique ici à la fois le soprano et le ténor, notre auditeur entendra, dans les deux sens du terme, ses improvisation tendues, inquiètes ; ce son énorme, cette voix exaltée, déchirée, abîmée à force d’imprécations. Il verra plus d’une fois sa silhouette s’avancer à pas comptés dans cette nuit d’encre et glacée, seulement guidé par les luminescences thermogènes à lui adressées par Jozef Dumoulin.
Et soudain, le paysage s’éclaire et Tony est capable, dans ces moments de paix retrouvée, d’entonner des mélopées simplement empreintes de lyrisme. Elles sont tellement parfaites qu’elles peuvent rivaliser avec le thème écrit du morceau !
Quelques réserves
Aucune réserve, on s'en doute, pour ce disque fascinant.
Encore un mot...
Deux, « si vous le voulez bien », comme le dit un animateur sur une radio de service public : tout un ciel étoilé.
Une phrase
Samuel Ber fut précoce, il joue de la batterie dès qu’il atteint l’âge de raison, mais aussi des percussions africaines, en particulier le le djembé, ce qui ne l’empêche pas de recevoir par la suite une solide formation académique, comme on dit en Belgique dont il est originaire, en entrant au Conservatoire d’Anvers à 18 ans. Dès l’âge de treize ans, il écoute le groupe Bo avec Nicolas Thys ; à vingt ans, il forme son premier groupe, Pentadox, avec les saxophonistes Guillaume Orti, Bo Van Der Werf et Sylvain Debaisieux ainsi que le pianiste Bram De Looze. Sa formation culmine avec son passage au conservatoire au CNSM de Paris où il reçoit l’enseignement de Franck Agulhon, vis-à-vis duquel il reconnaît sa dette et avec lequel il prenait déjà des cours avant d’entrer au CNSM. Il accomplit le voyage de New-York de l’été 2019 au printemps 2020. Il rencontre Tony à 19 ans, lors d’une master class qu’il donnait à Bruxelles et forme avec lui le trio Malaby / Dumoulin / Ber. Il accomplit le voyage de New-York en été 2019 et y reste près d’un an.
Il est aujourd’hui membre du Kartet avec Guillaume Orti et Benoît Delbecq. Il joue en free-lance avec de nombreux musiciens, tant il est demandé. Il pratique en association avec le pianiste Bram de Looze et le saxophoniste Sylvain Debaisieux depuis dix ans.
Il a déjà une dizaine d'albums à son actif.Jozef Dumoulin est membre d’une fratrie de douze enfants au sein d’une famille catholique belge.
Il découvre le jazz à l’âge de seize ans alors qu’il pratique déjà, entre autres, l’euphonium, l’orgue électrique et le piano. Il entre au conservatoire de Bruxelles où il reçoit l’enseignement de Diederik Wissels, le partenaire de toujours du chanteur David Linx. Il est également boursier à l’école de musique et de danse de Cologne.
Il s’installe à Paris en 2006 pour être plus près des musiciens avec lesquels il joue régulièrement : les frères Belmondo ou le traversiste Magic Malik.
Il joue sur scène avec les plus grands : Mark Turner, Bill Carothers, Rick Margitza, Robin McKelle.
En 2009, il enregistre avec son propre groupe l'album Trees are always right, qui reçoit de nombreuses distinctions. D’autres albums suivront.
Il peut s’enorgueillir d’une belle discographie, en tant que leader, coleader ou sideman.Tony Malaby, qui est d’ascendance mexicaine, découvre le jazz au cours de sa scolarité et commence par jouer dans des orchestres mexicains et latinos. Il débarque à New-York en 1995 où il jouera avec toute l’avant-garde : Paul Motian, Tim Berne, et plus tard Tony Rainey ou Michael Attias.
Il est aussi friand de collaborations avec les représentants les plus éminents du jazz créatif dans la vieille Europe. Il est souvent présent dans l’hexagone où il joue avec Marc Ducret, Gilles Coronado, Daniel Humair et Samuel Ber, Michel Portal et Bruno Chevillon.
Tout amateur qui se respecte devrait posséder dans sa discothèque son magnifique Sabino enregistré en 2000 avec le Français Marc Ducret et les Américains Michael Formanek et Tom Rainey. C’est désormais devenu un classique. Pour l’improvisation libre, il faut écouter son trio avec l’immense Daniel Humair et Bruno Chevillon : Pas de dense.
Tony Malaby est sollicité de tous les côtés tant aux USA qu’en Europe. Il joue au pied levé ou avec ses propres formations. Sa discographie, qui ne cesse de grossir, est pléthorique ; je ne sais si quelque spécialiste en tient à jour la liste exhaustive et détaillée. Il faudrait.
Il enseigne au Berklee College of Music, à Boston et ses étudiants ont bien de la chance.
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