Festival Jazz à Saint Germain-des-Prés : la musique de film investit Saint-Sulpice en grande pompe
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Aussi loin qu’elle remonte dans le passé, Sophie-Véronique a toujours eu un rêve, celui de composer des musiques de film. Avec son dernier concert à Saint-Sulpice, dans le cadre du Festival de jazz de Saint-Germain-des-Prés, elle vient de réaliser un de ses rêves d’enfant : elle a transposé elle-même à l’orgue, interprété avec l’aide de trois musiciens de jazz, et improvisé sur les plus belles musiques de film de notre jeunesse, dont certains sont d’incontestables chefs d’œuvre du cinématographe, pour reprendre l’expression de Jean-Luc Godard : The Mission, Dernier Domicile connu, Les choses de la vie, Rabbi Jacob, Le Mépris, Le grand blond, L’affaire Thomas Crown.
Le programme fut complété par un boléro qui répéta en ostinato la même inlassable formule composée en huit mesures par Sophie Véronique et une récitation mise en musique d’un hymne à la paix, dit avec ferveur, respect et conviction par Pauline Choplin face à un public médusé qui ne s’attendait pas à un tel engagement en faveur de l’humanité tout entière.
Contrairement à certains de ses pairs qui affichent un profond mépris pour les auteurs de musiques de film, qu’ils considèrent comme des musiciens de seconde zone, Sophie-Véronique voue un véritable culte à certains d’entre eux : Ennio Morricone, peut-être le plus grand, Francis de Roubaix, Philippe Sarde, Vladimir Cosma qui vient de publier ses Mémoires et fut l’assistant de Michel Legrand et Michel Legrand lui-même.
Points forts
L’orgue, on l’a suffisamment répété, est un orchestre à lui tout seul. Sophie-Véronique a cependant dû transposer pour son instrument des musiques initialement composées pour l’orchestre entier. Elle ne disposait pas toujours pour cela des partitions et a dû faire confiance à son oreille en repassant dix fois le morceau sur le tourne-disque, comme on disait dans les années soixante, pour en saisir toute l’originalité compositionnelle et la subtilité harmonique. Mais ce fut pour elle, je vous en fais la confidence, après le rêve réalisé, un jeu d’enfant.
Mais l’essentiel fut d’improviser sur tout cela en laissant libre cours à l’imagination de l’instant et le pari fut tenu.
Le cœur du concert fut The Mission d’Ennio Morricone qui, pour Sophie-Véronique, “ inventa ” littéralement des sons. Elle revint à trois reprises au cours du programme sur le thème obsédant du film présent désormais dans toutes les mémoires. Et elle a suivi dans sa transposition les directives du maître qui, une fois l’œuvre accomplie, s’est rendu compte que la cohérence de sa vision continuée lui permettait, dans un final somptueux, de superposer toutes les partitions composées pour le film.
Nous avons quant à nous une tendresse particulière pour la musique du Mépris de Godard dont le thème donné en accords pour orchestre dans le film fut transposé ici en une mélodie à une note qui se superposait aux accords de l’orgue ressuscité.
Et on garde d’oublier Les moulins de mon cœur de l’excellent Michel Legrand, composition ouverte qui permet, entre chaque phrase, et Michel pianiste ne s’en privait pas, d’intercaler des improvisations effrénées, toutes en appogiatures et fioritures de toutes sortes.
Quelques réserves
Il n’y en a aucune s’agissant de la musique elle-même dont les thèmes entêtants furent restitués avec ferveur, sinon qu’on eût aimé que certains des partenaires de Sophie-Véronique eussent pris plus de risques dans l’improvisation.
Sophie-Véronique, à l’instar des musiciens de jazz, est une grande improvisatrice, alors que cet art se perd dans la musique classique pour orgue, y compris en Allemagne malgré le glorieux improvisateur que fut Jean-Sébastien Bach à la cathédrale de Leipzig.
C’est pourquoi la direction du festival a eu cent fois raison de la confronter avec des organistes de jazz : l’année dernière Rhoda Scott et cette année le jeune Coulondre au talent prometteur.
Si l’expérience est poursuivie l’année prochaine, ce que le public semble souhaiter puisqu’il vient à chaque fois plus nombreux, peut-être faudra-t-il choisir un format différent et surtout résoudre de manière plus satisfaisante le redoutable enjeu de la sonorisation de la nef.
L’orgue de Cavaillé-Coll, conçu pour les lieux par un facteur d’orgue génial, y règne en maître mais les autres instruments convoqués, y compris l’orgue Hammond, ont du mal à rivaliser avec lui.
Une étude acoustique préalable sera sans doute nécessaire la prochaine fois pour éviter l’écueil d’instruments proprement inaudibles.
Encore un mot...
Sophie-Véronique était très émue par ces mélodies lancinantes, parfois d’une tristesse infinie comme la chanson de Romy dans Les choses de la vie qui, avec Léa Massari aura aimé le même homme avant qu’il ne se tue dans un terrible accident, mélodies qui ont bercé sa jeunesse. Après avoir méticuleusement préparé le concert par ses transpositions et enchaînements, Sophie-Véronique s’est lancée hardiment dans l’improvisation, s’est donnée à fond, comme toujours et pour notre plus grand bonheur.
L'auteur
Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin a obtenu tous les prix et toutes les distinctions. Elle est la première femme à avoir été titularisée sur l’une des trois grandes tribunes parisiennes. Elle poursuit une brillante carrière de soliste internationale en interprétant les plus belles pièces du répertoire classique et s’est fait pour spécialité les duos avec les plus grands récitants : Pierre Arditi, Michaël Lonsdale et Marcel Maréchal. Elle a été professeur d’orgue en interprétation et improvisation au Royal College of Music de Londres en 2008.
Son dernier opus, enregistré au grand orgue de Saint Sulpice, est consacré à Mendelssohn et Denis Bédard.
Compositrice de l’instant, elle rejoindra les auteurs de musique de film qui figurent à son panthéon personnel, en improvisant, comme le firent naguère Miles Davis ou Martial Solal, sur les images de The Dawn de Murnau au Jesukinken de Copenhague le 29 juillet 2024, nous y serons.
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