
Les Dames du Raï
Texte : Rabah Mezouane
Chant : Cheikha Hadjla et Fella Japonia
Infos & réservation
Thème
C’est dans l’Algérie alors colonie française, que naît le raï (« opinion » en arabe), ce genre musical qui, puisant aux sources de la poésie bédouine, mêle la tradition et l'avant-garde. Appuyées sur des instruments traditionnels - la flûte gasba et le tambourin gallal - mais introduisant aussi des instruments plus modernes telle la trompette, les chansons du spectacle évoquent la fête, la liberté, le sexe, le désir, le tabou de la virginité, l’alcool, la féminité, avec un art plus ou moins subtil du double langage.
Lyrique et populaire, le raï s’adresse d’abord à la jeunesse, et bouscule les codes de la société traditionnelle. Ce genre musical inédit et libre a été porté par des femmes audacieuses, souvent considérées comme des « débauchées », et qui furent à la fois calomniées, rejetées et adulées : Cheikha Rimitti, Cheikha Djenia, Cheikha Rabia, ou encore Zohra sont les figures emblématiques de cette musique rebelle qui a inspiré des générations. Après elles, le couple mythique formé par Fadéla et Zahouania, installe leur héritage dans la sphère du raï moderne, électrifié et produisent le 1er tube de raï mondial.
Sur scène, deux chanteuses appartenant à deux générations, accompagnées d’un orchestre racontent cette histoire en chantant les titres de ces pionnières, tandis que, sur deux écrans suspendus, se déroule le récit de l’épopée du raï assorti d’explications, de photographies et de quelques extraits traduits des chansons.
Points forts
Dans ce lieu chaleureux et convivial qu’est le Cabaret sauvage, c’est d’emblée la fête. Sur la vaste piste de danse circulaire, un public de connaisseurs et de moins connaisseurs se précipite, ondule, acclame les chanteuses. Bref, il vit un intense moment de joie.
Les maîtresses de cette cérémonie solaire, souriantes, rayonnantes emmènent leurs fans dans une ronde de tubes connus de tou.te.s et célèbrent « les femmes qui prennent leur destin en main. » On pense aux chanteuses de blues noire-américaines comme Bessie Smith et Ma Rainey.
Quelques réserves
Elle tiennent à ce que ne dit pas le spectacle pour des raisons qu’on peut imaginer :
que le raï est aussi né dans la douleur, sur les vignobles des colons de l'ouest algérien du côté de Sidi bel Abbes ;
qu’il a été censuré tout de suite après l’indépendance par le pouvoir algérien, puis muselé par le terrorisme pendant les années 1990 ;
que les assassinats de stars et de producteurs de raï ont alors poussé les artistes à se réfugier en France, donnant au raï une dimension mondiale puisque les carrières de Khaled ou de Cheb Mami ont rapidement pris une dimension internationale.
Un peu oublié dans les années 2000, le raï semble actuellement connaître une sorte de revival, ce qu’on ne perçoit peut-être pas assez avec ce spectacle au parfum légèrement « vintage », même si Fella Japonia fait partie des chanteuses qui ont relancé le raï.
Encore un mot...
Il est bon et utile de rappeler que ce sont des femmes, essentiellement de l’Ouest algérien, qui ont été les pionnières de cette musique, bien avant l’explosion musicale des années 1980, et tout ce que Cheb Khaled, Raïna Raï, Rachid Taha et tant d’autres leur doivent. Que leurs noms et leur répertoire soit donné ici est d’importance et pas seulement pour décrire un phénomène sociologique.
L’accent mis dans ce spectacle sur Cheikha Rimitti (« Cheikha » signifiant littéralement « maîtresse de la musique ») permet à ceux qui ne savent pas grand-chose du raï de découvrir cette femme, la mère du raï, la « racine » comme elle le disait. Cette bédouine, orpheline, analphabète, a révolutionné la musique traditionnelle algérienne, même si elle est exclue de la scène musicale par le régime après 1962.
Le raï reste interdit à la télévision dans les années 80 ce qui sans doute n’a pas peu contribué au succès de cette musique rebelle. Une jeunesse qui rappelle en musique qu’elle est là. En tout cas, il a pleinement droit de cité en France, puisque ce spectacle est la reprise et le prolongement du spectacle similaire qui avait été donné au même endroit en avril 2025 pour deux soirées seulement.
- Il est rappelé sous les vivats des spectateurs que le raï, consacré en 2022 par l’Unesco, fait désormais partie du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Une phrase
« Arzw est jolie, ses palmiers l’embellissent / La Camel, la Camel / Le destin l’a parachutée à Barbès. » (La Camel)
Madre madre
« Hé, mère, mère / Occupe-toi de moi / Comme je l’ai fait pour toi / Ils m’ont interdit de l’aimer / Tout s’efface sauf le malheur. » (Madre madre)
- « Elle habite Marseille, / La cinglée / Elle habite Marseille / La fille de ma mère / Elle habite Marseille, / O mon raï / J’ai fait ce qu’il fallait faire / A toi de prendre la suite. » (Seknet Marseille)
L'auteur
Méziane Azaïche - créateur et directeur du Cabaret Sauvage qu’il a inventé en 1994 avec la structure d’un Magic Mirror - organise sa programmation autour de ses « coups de cœur », et conçoit des spectacles en rapport avec l’Algérie, et la question de la condition des femmes y est très souvent centrale.
- Journaliste et critique musical, Rabah Mezouane collabore à de nombreux journaux, de Nova magazine au Monde ou encore à Vibrations. Il est en outre chargé de programmation à l’Institut du Monde Arabe et réalise des documentaires sur la musique. Il est à l’origine de la renaissance de la musique judéo-arabe.
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