Adieu Bogota

Les mots comme viatique et comme bouclier
De
Simone et André Schwartz-Bart
Editions du Seuil
Notre recommandation
3/5

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Thème

A Paris, dans les années 50,  deux pensionnaires d’une maison de retraite se lient d’amitié ; Jeanne, une ancienne ouvrière malmenée par la vie et Marie (ou Mariotte),  une antillaise qui a beaucoup bourlingué. 

Après s’être racontée avec confiance et lui avoir exposé « sa philosophie», Jeanne fait promettre à Marie d’entreprendre à son tour le récit de son existence. 

A la mort de Jeanne, Mariotte se remet donc « à ses écritures » pour dire les hommes qu’elle a côtoyés et décrire les expériences belles ou cruelles qui ont marqué certaines périodes de sa vie.

Points forts

1 – La langue « sibylline » qu’emploie Mariotte, mélange de «  langue noire » et de «  langue blanche », pleine de poésie et de non-dits.

2 –  La description très évocatrice de la Cayenne des années 20 où trainent des bandes de relégués misérables trop vieux pour recommencer une existence et où  « la morgue des  nègres guyanais facilitée  par l’existence du bagne (a) complètement détruit dans l’esprit de l’ancien esclave l’idée de la supériorité du blanc » (p. 157).

3-.  Le principal personnage masculin, dit  « La Commune »,   ex-prisonnier politique, dont le bagne colle à la peau alors même qu’il a fait fortune dans l’orpaillage et pourrait prétendre à une vie de grand bourgeois. Sa relation avec Mariotte, incapable de lui prouver la reconnaissance et l’amour qu’elle lui porte, est étudiée avec beaucoup de finesse.

Quelques réserves

1 - « Adieu Bogota » a été  reconstitué par Simone après la mort d’André en 2006 à partir des nombreux  brouillons et des notes éparses qu’il a laissées (comme d’ailleurs, « l’Ancêtre en solitude »  paru en 2015) :  Simone tenait à  perpétuer l’écriture à quatre mains commencée en 1967 avec « Un plat de porc aux bananes vertes » qui ouvre un cycle prévu pour être signé par les deux époux.

Cela donne malheureusement une œuvre un peu chaotique, sans plan directeur, qui laisse une impression d’inachevé ; les deux derniers mots, « Adieu Bogota », qui justifient le titre du livre sans pour autant ouvrir sur de nouvelles pérégrinations, annoncent peut-être simplement la parution d’un nouvel opus en préparation.

2 – « Adieu Bogota » n’est pas autonome. Il faut  avoir lu les ouvrages précédents  pour saisir les allusions à des personnages précis (M. Poulain,  Moritz Lévy, la tante Cydalise, etc.) ou imaginer ce qui n’est que suggéré : « Alors je lui ai dit ce qui s’était passé entre les écritures et moi, depuis 1920 ; le pourquoi du comment et tout le reste » (p. 113)

3 – La composition en deux parties assez inégales me semble un peu artificielle, mais, sans doute,  répond-t-elle à une volonté de brosser deux portraits parallèles de femmes humiliées, l’une blanche et l’autre noire,  même si l’intérêt de la première n’atteint pas celui de la seconde.

Encore un mot...

 Les heurs et (surtout) les malheurs d’une » mulâtresse », d’une « mélanisée », bref,  d’une « négresse » assumée, qui ne craint pas d’affronter  les mots pour défier l’existence avec joie  et colère, sans illusions et sans rancœur.

Une phrase

« Probablement, après tout, que je ne suis pas tellement sûre que la mort n’existe pas, car je viens de recevoir comme une blessure en pensant à la Jeanne. Pourtant, je sais que je ne mourrai pas, moi, la mort ne m’est plus rien, du moment que tout ça restera après mon départ, les arbres, la mer, le pays, toutes ces choses que j’ai tant aimées. (…) C’est peut-être qu’il est plus difficile de vaincre la mort des autres que la sienne. »

L'auteur

André Schwartz-Bart reçoit le Goncourt en 1959   pour « Le dernier des Justes »,  histoire de la famille Lévy  dont chaque génération suscite un  Juste (« un désarmé du cœur, se gardant naïf devant le mal »), dont le premier meurt en martyr en 1185 et le dernier disparaît dans un four crématoire à Auschwitz.

Son mariage avec Simone, guadeloupéenne de 10 ans sa cadette,  l’amène à se pencher sur l’esclavage antillais qui, pour lui, est une tragédie  analogue à celle de la Shoah; et c’est ainsi qu’il publie en 1972  « La mulâtresse Solitude », petit chef-d’œuvre mal compris à l’époque de sa parution.

Simone révèle à son tour un vrai talent d’écrivain avec, en particulier,  « Pluie et vent sur Télumée Miracle »; et le couple fusionnel que forment les Schwartz-Bart en arrive à écrire de concert plusieurs romans sur l’identité et la magie créoles.

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