Argonne

Une pépite : l’histoire des siens délicatement retrouvée dans les paysages de son enfance
De
Stéphane Emond
La Table Ronde
Parution le 22 août 2022
125 pages
16 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Grâce à deux photographies en noir et blanc et à l’alliance si fine, héritée de son grand-père comme un talisman, le narrateur tente de raconter l’histoire oubliée des siens, en retrouvant leurs traces dans le pays de son enfance, l’Argonne. Devenu libraire très loin de là, il a le sentiment d’avoir rompu la longue tradition des artisans-éleveurs, enracinés dans cette terre de l’est, « profonde, solitaire et mystérieuse », « usée par les guerres, les invasions, d’Attila aux Prussiens, des Croates aux Allemands. » La mort de son père l’invite à prendre conscience de tout ce qu’il doit à ce monde-là, des gens ordinaires, des taiseux, des humbles.

Quatre-vingts ans après, il se lance dans une sorte de pèlerinage en mettant ses pas dans ceux de ses aïeux sur la route de l’exode vers la Côte d’Or en juin 1940. Il rappelle le drame terrible survenu le 15 dans un village de l’Aube, le convoi est mitraillé, sa jeune grand-mère sera déclarée « morte pour la France », alors que son nouveau-né va lui survivre quelques semaines. Le destin se fige. Malgré la profondeur du chagrin, les sanglots sont étouffés, il faut partir, l’heure du retour sonne le 17 juin. Les travaux et les jours reprennent à travers leurs rythmes immuables. Passé et présent se répondent alors, la petite histoire de sa famille s’inscrit dans la grande Histoire.

Points forts

  • L’auteur chemine d’un village à l’autre, il collecte avec minutie les « débris du grand destin », il entrouvre des portes, il est accueilli dans une maison par une vieille dame qui l’attend depuis « plus de cinquante ans », il interroge les rares témoins de l’époque ou leurs descendants, il suscite des révélations là où règne souvent un silence de pierre.
  • Ses sens en éveil, voire ses rêveries, lui permettent de décrire ses paysages si familiers, en créant une harmonie entre les éléments de la nature et les êtres humains, ainsi ruisseaux, lacs ou forêts sont personnifiés : il est à l’écoute de leurs murmures.
  • La mort est omniprésente dans « ces pays de l’Est, nés pour la guerre » selon la phrase de Julien Gracq, citée en exergue. Personne ne la redoute. On apprend à vivre avec les ombres des morts, invitées à table … La fabrication des cercueils se transmet de père en fils, il va même jusqu’à écrire : « les morts m’ont indiqué le chemin des vivants. »
  • La tourterelle, qui les attend, symbolise l’attachement à la maison, le lieu privilégié de la famille : la maison du départ, la maison du retour, la maison des songes, la maison des ombres, toutes ces expressions soulignent les grandes étapes de la vie.

Quelques réserves

Je n’en vois pas.

Encore un mot...

« Mon père a fabriqué de ses mains dans son atelier le cercueil de son père … qui avait lui aussi fabriqué celui du sien. Je ne fabriquerai pas le cercueil de mon père » : Stéphane Emond se considère comme un criminel, parce qu’il a interrompu la généalogie familiale, en refusant d’exercer ce beau métier de menuisier ! Il a cependant ciselé de sa propre main un hommage tout en pudeur et tout en délicatesse aux siens et à sa terre natale, à ce monde d’où il vient et à qui il doit tout. La noblesse de ses sentiments se lit à chaque page de ce récit court et simple, écrit dans un style limpide.

Une phrase

  • « Rivière est comme l’anagramme de rêverie. Le français en effet parle un pays d’eau douce. » p.29 
  • « Pas une route, un chemin, un ravin qui n’ait vu passer un régiment, un escadron perdu ou quelque fuyard cherchant dans la forêt la hutte abandonnée d’un charbonnier pour s’y cacher. Piétinements et foulements successifs n’ont rien effacé, les stigmates subsistent malgré les chemins remembrés ; cette terre n’ignore pas les malheurs qu’elle a connus. Une sombre éternité règne là encore, un monde où on fait le lendemain ce que l’on a déjà fait la veille, une vie silencieuse, ordinaire … Et quand les guerres vous laissaient en paix, on y était heureux. » p. 86-87 
  • « Ah ! Un beau caveau comme ça, on en a pour toute sa vie ! » p.104
  • « Ces photographies m’apportaient la preuve matérielle que le passé a quelque chose de charnel, de vif, d’intelligent, et qu’il n’est jamais totalement enfoui. » p. 117

L'auteur

Né en 1964 en Argonne, Stéphane Emond dirige plusieurs librairies : Les Saisons à la Rochelle et à Tours et Les Halles à Niort. Il a publié un recueil de vingt courts récits dans Pastorales de guerre (Le Temps qu’il fait, 2006) et le  Prix Terre de France, Ouest-France 2022  lui a été décerné pour Argonne en décembre dernier.

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