Assemblage

S’assimiler ou ne pas s’assimiler : that is the question. Une écriture sans concession qui fait mouche
De
Natasha Brown
Grasset
Traduit de l’anglais par Jakuta Alikavazovic
Parution le 11 janvier 2023
160 pages
17 euros
Notre recommandation
4/5

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Thème

« J’ai absolument tout » reconnaît la narratrice. La quarantaine, diplômée d’une prestigieuse université, elle codirige une division d’une banque de la City. Britannique d’origine jamaïcaine, elle a bénéficié à plein de l’ascenseur social au prix d’un travail acharné. Elle ne nie pas que la discrimination positive l’a aidée dans son ascension. Elle est riche. Elle anime des conférences dans les écoles où elle vante les atouts de l’industrie financière et l’exemplarité de son parcours fait « d’huile de coude et de labeur ». Elle est aussi la « nouvelle bonne amie de notre benjamin », comme le dit avec condescendance la mère de son petit ami. Lui est issu de la meilleure société britannique. Sa famille est progressiste et ouverte à la diversité.

A la veille de se rendre à une garden party chez celle-ci, la narratrice rassemble ses doutes et interrogations. Frustrée, insatisfaite, elle se sent instrumentalisée. Elle se voit comme « la diversité qu’il faut », qui assure la crédibilité requise, qui donne bonne conscience. Elle a l'argent, mais son ami a la fortune. Et celle-ci ne s’acquiert pas, elle est donnée à la naissance. Elle reconnaît qu’en dépit de sa réussite, elle n’a pas accompli sa “ transition de classe". Elle a été formatée, « assemblée »,  pour « devenir invisible, ne gêner personne, oublier d’où l’on vient ».  Elle réalise qu’elle est « ce que les Noirs ont toujours été pour l’Empire : un putain de profit net ». La famille de son ami a-t-elle été indemniséé en contrepartie de l’abandon de l’esclavage ? Alors, assister ou pas à cette garden party ?

Points forts

Ce court roman reflète sans doute en partie le parcours, les aspirations et les questionnements de sa jeune auteure. Est-ce que le plafond de verre a vraiment été brisé à l’issue de l’enviable ascension sociale de son personnage ? Quels sont les obstacles qui restent à franchir ? Du reste, faut-il les franchir ? Faut-il renoncer à sa liberté ? Peut-on supporter cette déshumanisation ou doit-on « se désentraver de cette existence » ? 

C’est à ces questions que tente de répondre avec talent Natasha Brown. La dénonciation de cette « assimilation » est forte et tranchante. Les phrases, ciselées, font mouche. La langue ne s’embarrasse pas de manières. Bienveillante et empreinte de progressisme, l’intégration à la britannique refléterait une mécanique de domination sophistiquée qui vise à éradiquer les origines sans intégrer pleinement ces citoyens issus de l’Empire. Ils sont rejetés à la fois par les plus pauvres (qui voient une forme de “remplacement" à l’œuvre) et par ceux qui disposent du capital culturel le plus élevé et qui veillent à les tenir à bonne distance. Natasha Brown règle ses comptes avec l’Angleterre coloniale (« la faute première ») qui a détruit le socle de connaissances partagées qui auraient pu tracer « une perspective post-coloniale ».

Quelques réserves

Ce récit vient à la suite de nombreux autres sur les thèmes de l’héritage colonial, de la racisation, et des difficultés de l’intégration. Il questionne le modèle anglo-saxon, dans sa version britannique, qui repose sur la reconnaissance du mérite individuel et de l’effort dans l’accès aux plus hautes positions sociales. Natasha Brown déconstruit ce modèle qu’elle appelle de l’assimilation, qui donne accès au plus grand confort matériel mais qui échouerait, par la faute de l’Histoire, à doter ses membres méritants de tous les attributs d’une réussite sociale achevée. 

L’assimilation honnie a été source évidente de progrès pour la narratrice et ses semblables.  En refusant de repousser encore un peu plus les frontières du plafond de verre, l’héroïne de Natasha Brown fait le choix un peu déprimant d’une forme de "rente mémorielle" si l’on peut dire. Dans quel but ? Maintenir une forme de pureté des origines, préserver un communautarisme délétère ? Préserver sa liberté (y compris de ne pas soigner un cancer naissant) ? Et même si le comportement de son amoureux porte encore des traces de domination culturelle et sociale, on aimerait, peut-être benoîtement, qu’elle délaisse sa dureté et accueille pleinement son amour et qu’elle le crédite, lui et sa caste,  des progrès enregistrés en une seule génération. Et on aimerait aussi que se dessine dans un coin du livre l’image de son collègue de la City, Richi Sunack et son parcours inspirant !

Encore un mot...

La déconstruction du modèle d’intégration à la britannique très bien servi par une écriture sans concession et qui fait mouche

Une phrase

 « Toujours, cette pression, pile à cet endroit. Assimilez-vous, assimilez-vous… Dissolvez-vous dans le melting-pot. Puis coulez-vous dans le moule. Pliez vos os jusqu’à ce qu’ils craquent, se fendent, jusqu’à ce que ça rentre. Forcez-vous à épouser leur forme. […] Et toujours, en ligne de basse, sous le vocabulaire insistant de la tolérance et de la convivialité – disparaissez ! Fondez-vous dans la soupe multiculturelle de Londres ».

L'auteur

Citoyenne britannique d’origine Ghanéenne, Natasha Brown a étudié les mathématiques à Cambridge avant de faire carrière dans la banque. Assemblage est son premier roman.

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