Beyrouth-sur-Seine

“Je reste un libanais qui ne se sent pas vraiment libanais”. Un roman dont la forme est plus journalistique que littéraire.
De
Sabyl Ghoussoub
Stock
Publication le 24 août 2022
320 pages
20,50 euros
Notre recommandation
2/5

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Thème

Ses parents, arrivés du Liban à Paris en 1974, acceptent de se confier à l’auteur. Jeune journaliste, Sabyl est en quête de ses racines familiales et nationales.

Dans cette autobiographie, Sabyl Ghoussoub dresse des portraits haut en couleur de sa famille. Le père, d’abord. Communiste, chrétien maronite élevé chez les jésuites, il est aussi poète, journaliste et professeur. Libre et bravache, il défie toutes les autorités politiques et religieuses. Son épouse ensuite, qui “ressemblait à une actrice italienne”, une femme excessive et exclusive qui ne jure que par la famille. 

L’auteur parcourt les étapes du conflit libanais (officiellement 1974-1990). La guerre, rappelle utilement Ghoussoub, naît des accords du Caire de 1969 entre l’OLP d’Arafat et l’armée libanaise qui donnaient à la résistance palestinienne le droit de mener des actions à partir du Liban. Cette guerre s’est exportée à Paris qui était devenu l’un des épicentres du monde intellectuel arabe, avec les attentats des rues Marboeuf ou de la rue des Rosiers, entre autres. Dans le récit, on croise les Gemayel, Joumblatt, Frangié  ou encore Berri, des noms associés à des dynasties mafieuses, qui conservent aujourd’hui encore de l’influence au Liban, un pays toujours en crise politique et sociale profonde.
S. Ghoussoub est tiraillé entre l’amour de sa famille et le dégoût que lui inspire leur fascination – et celle de tout un peuple  –  pour la violence. Il cite ainsi ces paroles terrifiantes prononcées par sa mère : « tu vas voir, lui, c’est quelque chose, un homme, un abaday. Il a tué de ses propres mains. Bam ! ». L’auteur ouvre les yeux ; le village familial, tellement révéré, n’est plus “un paradis perdu, mais un nid de sanguinaires". On partage la douleur éprouvée par l’auteur au terme du dessillement qui accompagne ses découvertes.

Points forts

Beyrouth-sur-Seine confronte l’histoire du Liban et celle de la famille de l’auteur. D’ode à la famille et au peuple libanais martyrisé, le récit prend un tour amer au fur et à mesure que l’auteur plonge dans les replis sordides de la guerre et du rôle de la population, y compris de ses proches, dans le conflit. Ce désenchantement est évoqué avec ce qu’il faut de franchise (Ghoussoub n’invoque pas la guerre comme excuse au comportement des Libanais) et de justesse. 

A côté de cette noirceur (l’auteur qualifie ainsi sa famille d’Italianamerican c’est à dire “un peu mafieux, un peu villageois, un peu citadin”), on trouve un hommage tendre à ses parents et à son père en particulier. Décalées, empreintes d’un tranquille dédain pour le qu’en dira-t-on, les réparties de Kaïssar font souvent sourire. On lui pardonne ses excès et sa versatilité. On aime son indépendance, son réalisme et sa détestation des fanatismes et des dictateurs. Et même si l’auteur avoue se perdre lui-même dans les méandres de la guerre, ce rappel des étapes du conflit est utile pour qui s’intéresse à la géopolitique du Moyen-Orient. 

Quelques réserves

L’écriture de Sabyl Ghoussoub est assez relâchée et la forme est trop souvent plus journalistique que littéraire. Ainsi la recension des attentats en France semble venue tout droit de Wikipedia. Ce livre hésite excessivement entre la chronique familiale, souvent drôle et pittoresque, et la “grande histoire” qui lui sert de toile de fond sanglante.

Encore un mot...

L’intérêt de ce livre est de nous rappeler les souffrances du Liban, champ de bataille de nombreux conflits depuis plus de 50 ans. Le message de Ghoussoub n’incite pas à l’optimisme tant les comportements de la société libanaise sont marqués par la violence et la division. Sans oublier l’extrême faiblesse de l’État libanais et la persistance des sources de conflit dans la région.

Une phrase

  • « Je suis très sérieux, je suis arrivé à Orly avec ta mère dans ma valise. A l’époque, elle rentrait encore dedans » (page 18)
  • “Le plus surprenant quand je lis ces lettres, c’est que quarante ans plus tard, mes amis et ma famille emploient les mêmes mots sur WhatsApp pour décrire la vie au Liban : le manque d’argent et de pain, l’inflation folle, le désespoir face à la situation” (page 64)
  • « On a honte de dire que nous sommes des Libanais car nous sommes des sauvages, des hypocrites, des égoïstes, des marionnettes » (page 64)
  • “Presque tous les seigneurs de guerre ont perdu au moins un proche, tué dans un attentat ou une tuerie. Ceci explique peut-être la durée de ce conflit. Comme pour les mafieux, la loi du Talion s’appliquera pour ces morts et cette soif de vengeance n’a jamais de fin”. (page 181)
  • “Il faut devenir un Libanais international, un Libanais casanier n’a ni n’aura aucune valeur dans le monde”. (page 274)

L'auteur

 Né à Paris en 1988, libanais, Sabyl Ghoussoub est l’auteur de deux autres romans, Le Nez juif (éditions de l'Antilope, 2018) et Beyrouth entre parenthèses (éditions de l'Antilope, 2020). Il est aussi écrivain et journaliste. Beyrouth-sur-Seine a obtenu le Goncourt des lycéens en 2022.

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