Cette femme qui nous regarde
Parution en août 2024
155 pages
18,90 €
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Thème
Au point de rencontre de trois remémorations : la relecture d’Autobiographie d’Angela Davis, le souvenir d’une conférence de la même Angela Davis en 2014 au Royce Auditorium de l’université de Californie-Los Angeles et la réminiscence des meurtres de George Floyd et de Tyre Nichols par des policiers, Alain Mabanckou écrit une lettre imaginaire adressée à Angela Davis.
Cette lettre, rédigée sur le ton de l’intimité comme à une amie que l’on connaît bien est à la fois une célébration de l’action et de la ténacité d’Angela Davis dans sa lutte contre la ségrégation des Noirs et un réquisitoire intraitable par l’auteur lui-même contre la même ségrégation sous ses différentes formes. C’est une critique documentée abordant divers chapitres : la lutte obsessionnelle des autorités américaines contre le communisme, les lois ouvertement ségrégationnistes, les hypocrisies de la non application des lois et de la non reconnaissance des droits lorsque le citoyen américain concerné est noir. C’est une dénonciation des exactions, des destructions de maisons, des assassinats commis au titre du racisme. C’est la mise en évidence de l’exclusion des Noirs des quartiers « réservés aux Blancs ».
C’est aussi un éclairage qui aborde les initiatives du peuple noir afro-américain à constituer son propre pouvoir, à obtenir l’établissement et l’application de lois équitables pour tous. C’est aussi le rappel des actions de différents mouvements noirs incarnant le Black Power, ceux avec l’option d’une certaine violence tels que les Black Panthers ou ceux qui se déclarent pacifistes comme celui porté par Martin Luther King. C’est aussi, sur un autre plan, la constatation de l’émergence de l’art littéraire noir il y a quelques décennies et de la reconnaissance mondiale de nombreux auteurs noirs remarquables depuis une vingtaine d’années.
C’est par ailleurs l’évocation du rôle d’Angela Davis qui rayonne par le courage, la force, l’intransigeance de son engagement sans faille en dépit des menaces et des arrestations. Bref, c’est un être de feu que nous fait rencontrer Alain Mabanckou.
Points forts
Alain Mabanckou nous invite à comprendre que le combat pour l’égalité des droits entre hommes et femmes de couleur de peau différente ne supporte aucun compromis, aucune négociation. Les bons sentiments ne suffisent pas ! Il attire également notre attention sur le fait que la dénonciation des exactions que subit la population afro-américaine est au-delà de ce qu’en rapporte la froideur des dépêches ou des comptes rendus journalistiques. Il est indispensable pour bien comprendre ces malheurs de sentir et ressentir la souffrance des hommes et des femmes qui en sont les victimes.
Il nous met en garde contre le « racisme structurel », celui qui s’installe à notre insu à travers des dispositions légales, qui, sous l’apparence du respect des droits de chacun, consolident au contraire des pratiques ou des modes de vie empreints de racisme.
Enfin, Alain Mabanckou élargit son propos sur le racisme à d’autres lieux et à d’autres peuples à la fin de l’ouvrage, ce qui ouvre le champ de la réflexion au-delà de la ségrégation exclusive du peuple noir.
Quelques réserves
L’ensemble de l’ouvrage est un réquisitoire exclusivement à charge ou presque. Si les faits exposés secouent indiscutablement le lecteur, il serait raisonnable d’inventorier d’autres aperçus, d’autres initiatives pour une juste appréciation sans pour autant se réfugier dans une bien-pensance inutile.
Encore un mot...
Un livre fort, où le lecteur reçoit des coups. Un propos construit comme une mosaïque de faits, qui vous retournent les sens, mais dont chaque fragment s’agence avec les autres pour composer une fresque effrayante, voire insupportable.
Une phrase
« Le Black Power, c’était la prise de conscience d’une nécessité pour les Afro-Américains, celle de créer leurs propres organisations politiques, leurs propres institutions culturelles avec le dessein de prendre leur destin en main. » P.63
« Baldwin reprochait aussi à certains écrivains, épigones de l’autrice de La case de l’oncle Tom, leur manque de sincérité dans des œuvres où l’indignation contre les injustices l’emportait sur le courage de regarder les esclaves de l’intérieur, d’intégrer leur expérience quotidienne. » P.72
« Citant Baldwin : « On aurait pu espérer qu’à notre époque, la seule vue de chaînes sur une épaule noire, ou la seule vue de chaînes simplement, serait pour le peuple américain une vision tellement intolérable, un souvenir tellement insupportable que spontanément, il se serait soulevé et aurait arraché ces fers. » » P.100
« Oser demander à une native de Bombingham, de Dynamite hill ce qu’elle pense de la violence, c’est méconnaître la tragédie des populations noires dont les ancêtres furent arrachés à leur continent pour subir l’apocalypse sur le territoire américain. » P.109
« Tu as appris à te méfier des lois qui prétendent te prémunir contre les crimes raciaux. Tu sais qu’elles finissent toujours par se retourner contre ceux qu’elles sont censées protéger. C’est à cette époque que remonte ton expérience du racisme structurel. » P.127
L'auteur
Alain Mabanckou est Franco-Congolais, né le 24 février 1966 à Pointe-Noire. Après avoir résidé et passé la fin de ses études en France, il habite aujourd’hui Downtown-Los Angeles depuis 2019. Il est écrivain, professeur d’université à Los Angeles, poète et auteur d’œuvres pour la jeunesse.
Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dont :
Verre cassé, prix Ouest-France/Étonnants Voyageurs 2005, prix des cinq continents de la francophonie 2005, prix RFO 2005, Seuil 2005 ; Points 2008
Mémoires de porc-épic, Prix Renaudot 2006, prix de la rentrée littéraire 2006, prix Aliénor-d’Aquitaine 2006, prix Artistes du monde du ministère français des Affaires étrangères 2006 Seuil 2006 ; Points 2007
Alain Mabanckou a pris des positions en faveur d’un élargissement pour dépasser les origines coloniales du concept de francophonie. Il dénonce l’indulgence de la francophonie vis-à-vis de certains régimes africains.
Il a critiqué par ailleurs ceux qui estiment que l'œuvre de la poétesse afro-américaine Amanda Gorman ne devrait être traduite que par des personnes noires, précisant que la littérature ne devrait pas être tributaire d’une certaine couleur.
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