Ceux du lac

L’impossible adieu d’une famille tzigane chassée de sa cabane au bord d’un lac. Un roman envoûtant
De
Corinne Royer
Le Seuil
Parution en août 2024
281 pages
20 euros
Notre recommandation
4/5

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Lu
par

Thème

Du lac bucolique de Vacaresti au ghetto tsigane de Bucarest, l’errance des enfants Serban et de leur père. 

Sasho Serban est un jeune roumain tsigane de 17 ans. Ses frères, sa jeune sœur Naya, le chien Moroï, l’accompagnent quotidiennement dans la rivière de la Dambovita, au sein du lac Vacaresti. Ils vivent dans la cabane de leur père, veuf de « Petite-Mère » dont le souvenir est présent. 

Avec force et vulnérabilité, ils nagent, pêchent, courent au cœur du Delta, marécage au biotope extraordinaire. C’est une ancienne retenue d’eau abandonnée, restée à l’état naturel. Nous sommes en 2014. 

Leur tante Marta les initie à la lecture et à l’Histoire. Sa fille, celle qu’elle a eue avec « Le Français », fait partie des rêves de Sasho. Mémé Zizi, forte figure, achète leur poisson pour son bar en ville. Son fils Andrei y a son fief, voué au culte du football . 

Le lecteur s’imprègne de cette vie en marge. Les amis et les ennemis se côtoient. La tension monte au cours du récit et se porte à son comble quand la famille Serban est déplacée par les autorités dans le quartier misérable de Ferentari. Le lac de Vacaresti doit devenir un parc naturel au coeur de Bucarest ; 

Les personnages sont bouleversés; ils nous emmènent aux confins du rêve et de l’hallucination ; les pages de prose poétique alternent avec celles du récit lui- même. 

Les éléments nous cernent comme ils cernent Sasho et les siens. L’eau, la brume, les nuées, le vivant nous suivent, jusqu’à un final somptueux. 

Points forts

Dès les premières lignes, dans la description de la pêche dite « la nage du chien au cri de coq », nous sommes surpris. Les mots sont choisis, précis, pointus, forts, expressifs, violents, déroutants ; l’écriture vous emporte dans le tourbillon des eaux vives, des herbes folles, des jambes et des bras, des coeurs et de l’esprit, vous soumettant à une indéniable présence, émouvante, généreuse, parfois dérangeante. 

Beaucoup de lyrisme dans la découverte d’un monde qui semble désolation et misère, mais où la vie est reine. 

Le lecteur est liquéfié et il est plus qu’un spectateur ! 

Quelques réserves

Corinne Royer ne cite pas dans ses sources le film roumain de Radu Ciorniciuc, Acasa, l’adieu au fleuve, sorti en 2020, diffusé sur Arte, récompensé à de nombreux festivals, avec pour propos l’expulsion d’une famille hors du Delta. 

Encore un mot...

Le livre pose la question de l’équilibre entre l’originalité de certaines populations et l' intérêt public. Les cicatrices de la dictature communiste, la gentrification ambiante, sont exposées au lecteur en quelques mots ; on comprend l’impact de l’Etat sur les corps et les âmes. 

Tout au long du récit, Corinne Royer pose un regard bienveillant sur les hommes et les femmes. Dans les situations de violence, voire de cruauté, la difficulté d’être autant que le mal-être, le besoin d’une conscience du bien agir, confèrent à chacun des personnages une pureté existentielle. 

Une phrase

  • « Sasho caressait les touffes d’herbe à portée de main, les tiges se courbaient au contact de sa paume ; puis il entreprit de les plier une à une entre ses doigts.
    - Le bruit de l’herbe qui plie ! dit Sasho. 
    - Ça fait pas de bruit , l’herbe qui plie ! rétorqua Ruben. 
    - Chut , écoute ! 
    Ils retenaient leur souffle et ils tentaient de saisir l’infime murmure de toutes les choses qui, dans l’infinie profusion du règne végétal, se penchaient, glissaient, pliaient, se relevaient, et que seule une oreille affûtée pouvait percevoir.
    - Si on pliait, nous aussi, si on partait du delta, ça ne ferait pas plus de bruit. » page 136 

  • « Ruben fixait le point noir dans le ciel et il murmurait, j’arrive, j’arrive, j’arrive, et il riait. L’arc émaillé de ses dents était plus pur que la nacre de la neige. L’air se chargea d’une étrange présence ; il y eut un souffle auguste, presque chaud. Ruben s’élança. Les ailes se déployèrent . » page 257 

L'auteur

Corinne Royer est née en 1967. Après un BTS de publicité et communication, elle crée à 18 ans une agence de communication TV and Co dont elle sera co-directrice pendant 30 ans. 

Elle est l’auteure de M comme Mohican (2009, Héloïse d’Ormesson) ; La vie contrariée de Louise (2012, Héloïse d’Ormesson) remporte le prix Terre de France-La Montagne ; Et leurs baisers au loin les suivent (2016, Actes Sud) ;

2019  Ce qui nous revient  (2019, Actes Sud) ;  Pleine terre (2021, Actes Sud). 

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