Col rouge

Plongée dans le secret des ventes aux enchères à Drouot : une saga familiale surprenante et attachante
De
Catherine Charrier
Ed. Calmann Levy
Février 2024
480 p.
22.50€
Notre recommandation
4/5

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Thème

L'histoire commence avec François qui "monte" à Paris alors que Napoléon III rattache la Savoie à la France pour devenir "bis" (stagiaire) puis "Col rouge"...Il intègre une surprenante (et peu connue) confrérie, celle des commissionnaires de l'Hôtel des ventes Drouot, qui sont tous savoyards. On est dans les années 1860. Son épouse Berthe qui le rejoint et qui  mourra centenaire, essaiera de transmettre aux générations suivantes son "secret". Car il pèsera sur toute la famille pendant de nombreuses années. Les commissionnaires au col rouge sont les hommes chargés de transporter les objets jusqu'à Drouot et de les installer, certains tout petits, d'autres extrêmement lourds et encombrants.

Un métier qui n'est pas de tout repos car le travail exige 10 h par jour sur 7 jours par semaine... S'il est payé correctement (par rapport à la misère qui sévit dans les pays montagneux), il permet d'arrondir ses fins de mois avec la fameuse "yape", un secret lui aussi très bien gardé qui génèrera finalement de gros soucis... Après François, les générations se succèdent : Léon (col rouge en 1879), Joseph (1908), Gaston (1928), Henri (1960) Jules (1987)... Mais les contextes politiques (notamment les deux guerres mondiales), les moeurs, la façon de vivre et la société en général, tout change, et chacun doit s'adapter. Cependant, leur point commun reste d'apprécier de voir souvent passer en leurs mains de véritables oeuvres d'art.  Car L'Hôtel est en effet une "fabuleuse gare de triage des choses en transit". 

Il s'agit donc d'une grande fresque romanesque, qui court sur 150 ans, et de l'épopée de la famille Claret, dont le tout dernier descendant, dans les années 1995, qui n'est pas col rouge, cherche à remonter le temps pour mieux connaître ses ancêtres. Au-delà de cette saga familiale, le lecteur se trouve également immergé dans la grande Histoire, celle de la France, du milieu du XIXè jusqu'à l'époque contemporaine. 

Points forts

Incontestablement, le principal intérêt du roman est cette plongée dans un milieu très particulier, fermé et peu souvent décrit, celui des commissionnaires, de découvrir leurs habitudes, leur manière démocratique (et exceptionnelle) de fonctionner ensemble, leurs travers aussi... L'auteur connaît bien ce monde de la vente aux enchères, elle nous permet d'y pénétrer en en décrivant minutieusement les rouages. A cet égard, le chapitre intitulé François-avril 1897  évoquant les "grandes ventes", leurs richesses, leurs acheteurs, retient particulièrement l'attention. 

Les chapitres sont en effet judicieusement découpés, titrés uniquement par un prénom et une date. De ce fait, ils sont courts, le lecteur au fil des pages est tenu en haleine. 

On se doute que, pour l'auteur, la difficulté est d'éviter la répétition puisque les 6 personnages principaux exercent le même métier. Catherine Charrier a réussi à  trouver, pour chacun, un profil, une psychologie et une "aventure" ou une "histoire" spécifique.  Elle parvient à inventer une intrigue liée à chaque Col rouge et souvent à son épouse et à ses enfants, qui affrontent des contextes sociaux différents au fil des générations. Les chapitres consacrés à Gaston dont la jeune enfant Irène est gravement malade, ce qu'il vit dans la nuit du 10 juin 40, puis en octobre 40 et durant toute l'Occupation, sont particulièrement émouvants, d'autant qu'arrivent à Drouot les objets d'art confisqués aux Juifs. C'est dire que Catherine Charrier ne se contente pas de raconter une histoire familiale, elle prend soin de mêler habilement celle-ci avec le contexte historique sans hésiter à en décrire tous les détails. 

Quelques réserves

Parfois, on s'y perd (un peu) pour se remémorer qui est le fils de qui, le petit-fils, l'arrière petit-fils... Il y a beau y avoir au début du livre une sorte d'arbre généalogique de la famille (disposé d'ailleurs de manière inhabituelle), être obligé de s'y reporter pour s'assurer que l'on a bien distingué les uns des autres, finit par être déroutant. 

La multitude de détails, qu'ils concernent la vie quotidienne, les événements de l'époque ou la psychologie des personnages, oblige à une lecture lente. On peut soit apprécier ou au contraire avoir envie de sauter quelques lignes... 

Certaines époques semblent mieux traitées que d'autres. Ainsi, la guerre de 14-18 est certes évoquée mais pas en profondeur, tandis que celle de 30-45 et de l'Occupation, plus approfondie, est plus émouvante. Quant à la Guerre d'Algérie ou à Mai 68, on sent que l'auteur n'a guère envie de traiter ces affaires-là... 

Encore un mot...

On pourrait accoler à ce roman des adjectifs comme attachant, distrayant, instructif... que des qualités en somme, malgré les quelques réserves exprimées ci-dessus ! 

Une phrase

  • "Il se tenait debout dans le grand escalier de l'Hôtel, là même où il avait vu passer la moitié du siècle précédent, les espoirs et les faillites, les aristocrates déchus et les bourgeois promus, les pauvres enrichis et toute cette faune qui avait poussé sur Paris en chantier, Paris en guerre, Paris en paix, miséreux et prospère, vétuste et moderne... Il avait côtoyé le beau monde, les plus jolies femmes, les artistes et les politiques, car tous et toutes passaient un jour par Drouot. Drouot contenait l'époque.  (p. 155, ch. François 1911) 

  • " ... comment on allait s'y prendre à deux pour transporter cette armoire à encorbellement d'un quatrième étage à un rez-de- chaussée. La démonter en inventoriant toutes les chevilles et pièces -portes, tiroirs, étagères, tringles, compartiments secrets-, les conserver dans un ordre intelligible, la remonter en salle d'exposition, puis la redémonter et la recharger dans le camion pour la livrer, et enfin la remonter chez le client. C'était sans fin, un Meccano grandeur nature à répétition , qu'il fallait rejouer à l'envi au prix d'une débauche d'huile de coude... Chaque col rouge portait davantage de poids en un jour qu'un quidam aurait à le faire en dix ans. Insensiblement, les silhouettes des commissionnaires devenaient vermoulues, noueuses. Les articulations trinquaient. (p. 275, ch.Henri 1962) 

L'auteur

Née à Alençon, Catherine Charrier travaille dans la publicité. Elle a déjà publié (aux éditions Kero) trois romans, l'Attente, la Fréquentation des à-pics, et Non exclusif

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