Elsa

L'auteure italienne Elsa Morante telle qu'en elle-même
De
Angela Bubba
Héloïse d'Ormesson
Traduit de l'italien par Florence Courriol-Seita
Partition en mars 2025
416 pages
23 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

En Italie, tout le monde connaît Elsa Morante. Si sa vie a été marquée par son caractère torturé, elle traverse le XXème siècle avec ses souffrances et ses joies, de l'Italie fasciste des années 1940 aux grands acteurs de la culture de l’Après-guerre, Alberto Moravia, avec lequel elle se mariera, Pier Paolo Pasolini, Luchino Visconti, ardents amis qu'elle accompagnera, pour le premier dans sa vie d'artiste, et pour les deux dans leur carrière de cinéastes.

Mais Elsa est avant tout une romancière qui accueille le succès avec prudence, dont le prestigieux prix Strega en 1957 avec L'île d'Arturo, ou encore, un an avant son décès, le prix Médicis étranger en 1984 pour Aracoeli. Dans cette biographie romancée, Elsa Bubba nous fait revivre l'enfance et la vie d'adulte d'une Elsa qui semble refuser le bonheur devant la violence du monde, habitée par ses personnages, torturée par le doute de son talent, en permanente interrogation sur elle-même.

Points forts

Si ce roman offre l'opportunité de découvrir un grand auteur italien, il frappe d'abord par son  style sec et froid, dont la couverture esquisse la complexité d'un personnage que l'on découvre petit à petit.

L'exploration, voire l'extrapolation des sentiments de l'auteure "d'un des 100 meilleurs livres de tous les temps" publié en 1974, la Storia, sur la réalité de la vie en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale, est un point fort de l'ouvrage.

Angela Bubba épouse son destin pour dérouler une vie qui se dévoile par fragments, sans accorder d'importance aux détails du temps chronologique, et nous projette d'un chapitre à l'autre, d'années en années, sans transition.

Arturo, personnage d'un de ses romans à succès, fils amèrement regretté qu'elle n'a pas eu, dialogue en abîme avec Elsa pour un des plus beaux passages du roman.

Une poésie dans la narration s'installe lentement, poésie nue de vocabulaire inutile, poésie parfois coupante comme des cailloux dissimulés dans le lit du torrent de sa vie.

Elle est nourrie, à chaque fin de chapitre, d'un court extrait ou de "fragment d'œuvres d'Elsa Morante”, en résonance avec les pages précédentes, où elle nous est livrée dans l'authenticité de ses écrits.

Quelques réserves

Il faut le dire, au premier degré, ce roman est sans affect, sans appel vital, qu'on peut lire avec intérêt mais sans appétit.

Il sera sans doute plus apprécié par ceux qui connaissent un peu la vie et l'œuvre d'Elsa Morante car un certain nombre de passages y font implicitement, voire subliminalement référence. Si on ignore le contexte, on passera à côté du caractère métaphorique de certains chapitres.

Encore un mot...

Elsa est un roman qui m'a d'abord dérouté, puis avec le recul, séduit. Il n’expose pas une femme telle que l'histoire pourrait objectivement la raconter, mais telle qu'elle se ressent elle-même, dans un étrange huis-clos avec sa sensibilité.

L'écriture originale d'Angela Bubba se met au service d'une auteure complexe qui, bien qu'au cœur de la vie artistique et littéraire de l'Italie du 20eme siècle, semble nimbée de mystère et d'apparente austérité. Cet autoportrait, qu'on pourrait regarder comme une anamorphose qui dévoile ses pans de vérité, vient occuper une place originale à côté de biographies plus classiques (dont la plus connue, Elsa Morante, une vie pour la littérature de René de Ceccatty publiée en 2018), qui firent d'elle un "objet" d'intérêt. Par cette fiction, elle est pleinement "sujet", démarquée des ombres de son mari Alberto Moravia et de ses éblouissants amis Visconti et Pasolini.

Une phrase

  • - «Pourquoi es-tu venue ici? Dis-le-moi clairement.
    En réalité... reprend Elsa, le souffle coupé. En réalité, je voudrais savoir... où mon enfant peut bien être. Dans quelle espèce de monde il a bien pu se retrouver. Quelle apparence, quelles couleurs, quelle consistance sont celles de ce monde-là. Peut-être ressemble-t-il à une île, à un grand atoll doré à la surface d'une mer sans vagues?
    Ou bien est-ce une sorte de palais, peint en bleu avec des lumières toujours allumées? Une demeure pour enfants uniquement, oui, les plus beaux. Ceux qui ne verront jamais l'horreur terrestre, ceux qui ne sont jamais nés.» P. 111
  • -  “ «Tu sais ce que sont les poètes ?»
    Pier Paolo la regarde sans répondre. Il est debout, appuyé à la rambarde du balcon. Comme s'il se forçait à méditer, déconcerté par la question. Ses yeux sont vifs et crépitants, rétrécis par le désir de savoir.
    « Les poètes sont le sel de la terre, décrète-t-elle, ils donnent de la saveur à tout, aux plus petits fruits comme aux plus grands. Sans eux, rien n'aurait de sens, manger encore moins qu'autre chose. Tu es un don de Dieu, Pier Paolo.
  • - Tu l'es pour moi aussi. »”. P 228
    - « Je dois partir , siffle Arturo, les yeux fixés au-delà de la fenêtre.
    La sérénité de cette nuit l'attire, bien qu'il sente le danger poindre dans chaque recoin. Où qu'il regarde, une erreur semble se tapir, une apocalypse douce et vacillante.
    - « Reviendras-tu? 
    Bientôt poindra l'aube, pense Arturo, elle apparaîtra comme une longue écharpe irisée.
    - Dis-moi que tu reviendras.
    - Parle-moi plutôt de ton île. 
    Elsa est surprise par cette demande. Elle lève la tête et se fige, attendant... attendant son propre souffle, attendant le courage pour pouvoir parler.
    « Elle s'appelle Procida, dit-elle. C'est là que je t'ai vu pour la première fois. C'est là que tu es né.»
    Arturo se retourne vivement, ses yeux embrassent la pièce.
    « Pourquoi n'y suis-je jamais retourné ?
    - Je pense que tu souffrirais trop.
    - Comment est Procida ?
    - Elle est très belle, explique Elsa, heureuse. » P 265
  • - «Tu me peindras, un de ces jours ? » lui demande Elsa.
    Ils sont encore à Ischia et se promènent sur le front de mer.
    « Bien sûr que je te peindrai.
    Quelles couleurs utiliseras-tu ?
    Je ne sais pas », bredouille Bill en se mordant le doigt.
    Elsa le toise de biais. Son anxiété a là aussi un je-ne-sais qui d'enfantin, et la façon dont il révèle sa nervosité a plus à voir avec un caprice qu'avec une véritable douleur.
    « Bleu, s'écrie Bill après un moment, et il retire la main de sa bouche, le visage soudain lumineux.
    - Quoi?
    - J'ai besoin de bleu. Beaucoup, beaucoup de bleu pour toi.
    - Tu sais qu'il y a un grand débat sur cette couleur ? Les artistes ne font qu'en parler depuis des siècles - qu'est-ce qu'elle peut avoir de si spécial?
    - Tout. Toute la joie et tout le désarroi. Exactement comme toi. » P 276

L'auteur

Angela Bubba est une écrivaine, journaliste et chercheuse en littérature italienne. Curieux clin d'œil du destin, son premier roman, La Casa a été sélectionné pour le prix Strega, l'un des plus prestigieux prix littéraires italiens comparé au Goncourt, qui récompensa Alberto Moravia en 1952 et Elsa Morante en 1957 pour L'île d'Arturo. Elle est aussi auteure d'essais, dont certains consacrés à … Elsa Morante !

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