Hôtel Roma

Une balade suicidaire dans l’Italie éternelle des années cinquante
De
Pierre Adrian
Gallimard
Parution en Septembre 2024
185 pages
19,50
Notre recommandation
4/5

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Thème

L’auteur, confiné à Dieppe par l’effet de la première attaque du Covid 19 assignant la planète à résidence, épuise son temps de sortie autorisée dans les rues du port normand en rêvant d’un « ailleurs » ; il s’imagine ainsi marchant dans Turin, une ville qui l’a toujours attiré, comme l’Italie en général. Le reste du temps et pour tromper l’ennui, il poursuit sa rêverie piémontaise en s’infligeant la lecture de l’œuvre de César Pavese, un poète qu’il dit « ténébreux, dur, laconique et sentencieux ». Il l’avait plus ou moins évité jusque-là, quand Pasolini, son contemporain auquel on l’opposa souvent, rassasiait son appétit de littérature à vingt ans.

Ayant ainsi suivi les traces du premier avant qu’il ne fut assassiné, il décide, après avoir lu le second dix ans plus tard, de renouveler l’exercice avec lui, cet énigmatique César Pavese, et donc sitôt les barrières du confinement levées, de prendre le chemin de Turin pour marcher sur ses pas, ceux des neufs derniers jours de son existence notamment. Neuf jours qui séparent le 18 août 1950 du 27, la mort littéraire du poète pour l’une et sa mort physique pour l’autre, dans les deux cas un suicide, annoncé par l’épilogue du Métier de Vivre et dans ces termes : « Tout cela me dégoute. Pas de paroles. Un geste. Je n’écrirai plus ».

Neuf jours pour cheminer et comprendre, arpenter la ville vidée de ses occupants et accablée d’une chaleur de fin d’été, avec l’Hôtel Roma pour terminus, celui-là même situé en face de la gare dans lequel le garçon d’étage retrouvera le client de la chambre 49 allongé sur le flanc, inanimé en la seule compagnie d’un flacon de barbituriques, d’une centaine de cigarettes écrasées et de l’un de ses meilleurs livres, celui des Dialogues avec Leuco sur lequel il écrira avant de mourir :  « Je pardonne à tous et à tous je demande pardon… ».  Voilà donc la chronique d’une mort annoncée !   

Points forts

  • La découverte de cet auteur fécond au parcours iconoclaste, César Pavese, figure de la littérature italienne révélée en 1935 et mort en 1950. Un auteur qui n’a jamais quitté le Piémont mais voyagé dans les livres en traduisant Faulkner, Joyce et Dickens, qui s’est illustré avec Travailler fatigue, un premier recueil de poèmes, poursuivant son œuvre par des récits, ainsi : Le bel étéLe diable sur les collines et Entre femmes seules ; un intellectuel  aussi qui, après avoir milité au parti fasciste - erreur de jeunesse, dira-t-il - adhérera au Parti Communiste, plus en phase avec les auteurs qu’il défend dans la revue Culture de l’éditeur Einaudi, et avec Pasolini, son contemporain. 

  • La balade dans Turin et dans cette Italie d’après-guerre, jusqu’en Calabre, sans oublier Rome et son Janicule, celle des auteurs et celle des cinéastes de ce pays fantasque et sérieux à la fois, tiraillé entre l’envie d’une condition meilleure et consumériste allant de la machine à laver au poste de télévision, de la voiture aux vacances du coté de Viareggio, et celle de la vie pastorale ; l’Italie de Pasolini, de Vittorio de Sica,  d’Antonioni, lui aussi habité par l’idée du suicide, avec des visages sublimes pour symboles, celui de Monica Vitti pour la beauté, celui de Marco Pantani pour l’effort ; l’Italie dans laquelle se confondent la réalité et la commedia dell’arte. 

  • Le traitement de cette idée implacable du suicide qui habite le héros depuis l’adolescence, de la fatalité de cet acte qu’il a annoncé cent fois à ses amis qui finiront par douter de sa capacité à l’entreprendre, comme une espèce de chronique lancinante de la mort annoncée, un désespoir qui colle à la peau, se dissipe dans quelques rares moments de partage et revient inlassablement frapper à la porte du malade, de manière toujours accrue, comme si l’acte était bien inéluctable et que seule la date de sa commission restait aléatoire.  

Quelques réserves

 L’association à la démarche entreprise par l’auteur d’une femme évanescente rencontrée à Paris, avant son départ pour l’Italie, et retrouvée à Turin, laquelle cheminera avec lui en quête de ce Pavese, une femme sans nom qu’on appellera « la fille à la peau mate » ; sa présence n’apporte pas grand-chose au récit, sinon une diversion, et ne participe pas de la compréhension du drame, celui d’un homme enfermé dans ses fantasmes et ses frustrations.

Encore un mot...

 Le personnage de Pavese n’est finalement qu’un prétexte. L’homme est décrit comme très laid et désespérément noir ; il respire l’aigreur plus que la mélancolie. La mélancolie a son charme, l’aigreur n’en a aucun ! Un passage rapporte comme ultime aveu d’impuissance, qu’il n’a jamais su conserver une femme dans son lit au réveil, une femme qui par sa présence à l’aube aurait exprimé son contentement de la nuit, une idée et des mots restitués par Jean Yanne dans le chef d’œuvre de Pialat Nous ne vieillirons pas ensemble. Mais si Pavese reste dépourvu d’atouts et d’atours, le récit de Pierre Adrian en est quant à lui chargé, chargé comme le ciel et l’air de cette Italie quasi-mythique aujourd’hui, celle des années cinquante-soixante ; l’Italie, pays de tous les oxymores, comme l’expression permanente d’un désespoir heureux, d’une fantaisie sérieuse.

En posant l’ouvrage à la page 185, l’envie vient instantanément de revoir Monica Vitti dans la Dolce Vita, Sophia Loren dans Divorce à l’Italienne, et ceux aussi expressifs de Mastroianni, Sordi, Fabrizzi et consorts… Et le récit vaut aussi pour cette appréhension du suicide, cet acte fatal que son auteur va chercher à conjurer jusqu’à la fin, qu’une seule rencontre pourrait différer, un simple appel téléphonique aussi. Le livre vaut le détour pour ce seul récit de la dernière déambulation de Pavese dans Turin à l’aube du jour où il se donnera la mort, de son passage à l’Imprimerie qu’il a tant fréquentée, de son ultime conservation avec Paolo Spriano dans les odeurs et le bruit des machines, de la mention de ceux qu’il a ratés d’un fil cette nuit-là, ainsi Bona qui vient de quitter la presse et qui l’aurait sans doute, par sa seule présence, dissuadé de commettre l’irréparable.

 On pense aussi en lisant ce livre et par analogie à l’ouvrage de Laurent Seksik Les derniers jours de Stefan Zweig, qui traite des six derniers mois de la vie du plus grand écrivain autrichien du siècle passé, traqué par la folie nazie, et à tous ces grands auteurs qui ont choisi d’en finir, Nerval, Montherlant, Gary, Hemingway et tant d’autres. 

Une phrase

 “ Pavese était insomniaque depuis de longs mois et se gavait de somnifères. La compagnie de Paolo Spriano fut son dernier réconfort, cette nuit-là ; il était allé le trouver dans cette veillée aux odeurs d’imprimerie, dans le bruissement des presses et des machines à écrire… Pavese aimait à deviser avec les amis des journaux et des revues, faire la fin du service dans les auberges qui restaient ouvertes jusqu’au petit matin, boire un café brûlant au milieu de la nuit, fumer, et avoir le privilège de lire les nouvelles avant tout le monde.”
Au petit matin, Pavese regagna donc sa chambre d’hôtel par le plus court chemin, sans doute, en traversant la Piazza Carlo Alberto depuis laquelle on devine déjà la gare centrale au bout de la via Roma. C’est une grande avenue grise, inhabitée, qui semble être un couloir vers 

L'auteur

 Pierre Adrian, écrivain français d’une trentaine d’années, a suivi des études de journalisme et d’histoire et s’est installé durablement à Rome, après son passage à la Villa Médicis, ce qui confirme son goût pour l’Italie et augure de son talent pour en parler. Lauréat du Prix des Deux-Magots en 2016 pour La piste Pasolini, il a aussi décroché le prix François-Mauriac de l’Académie française et le prix Roger-Nimier en 2017 pour Des âmes simples, enfin le Prix Jean-René Huguenin en 2022 pour Que reviennent ceux qui sont loin.
Amateur de football et de cyclisme, il collabore au journal l’Equipe, ce qui explique sans doute qu’il évoque Marco Pantani dans ce livre ; pour autant, on ne le confondra pas avec Blondin, même si dans les deux cas, il est bien question de littérature !

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