Ils voyagèrent vers des pays perdus

Avec Rouart, l’imagination au pouvoir ! Et si le Maréchal Pétain avait quitté Vichy pour rejoindre Alger où les Américains venaient de débarquer ?
De
Jean-Marie Rouart
Albin Michel -
325 pages -
21,90 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Le 11 novembre 1942, au lendemain du débarquement américain en Afrique du Nord et au moment même où les Allemands franchissent la ligne de démarcation pour envahir la zone libre, le maréchal Pétain monte dans un avion. « À la barbe des Boches », il s’envole pour Alger. Là, il donne l’ordre à la flotte française de quitter Toulon et demande « à tous les hommes valides en âge de se battre » de le rejoindre pour reprendre le combat.

On sait que tel ne fut pas le cas. On sait aussi que cela faillit l’être. Ce départ aurait, à l’évidence, changé le cours de l’Histoire. Que serait alors devenu le général de Gaulle ? Avec virtuosité, Jean-Marie Rouart s’amuse à l’imaginer dans une uchronie ébouriffante.

Points forts

Comme Philip Roth faisant élire Charles Lindbergh à la présidence des Etats-Unis à la place de Roosevelt dans Le Complot contre l'Amérique, le point de départ du roman est parfaitement crédible. Dans l’entourage de Pétain, nombreux furent ceux en effet, tels Pierre Pucheu et le général Weygand, à inciter Pétain à partir. De Gaulle lui-même confia un jour au colonel Rémy : « Je ne comprendrai jamais pourquoi le Maréchal n’est pas parti pour Alger au mois de novembre 1942. Les Français d’Algérie l’eussent acclamé, les Américains l’eussent embrassé, les Anglais auraient suivi et nous, mon pauvre Rémy, n’aurions pas pesé bien lourd dans la balance ! »

Sur cette base solide, s’appuyant l’air de rien sur une documentation consistante, Rouart peut laisser courir son imagination en toute liberté. Et d’imagination, il n’en manque pas ! Abasourdi par cette nouvelle, que va faire de Gaulle ? Se suicider comme il en avait eu la tentation après l’échec de l’expédition de Dakar en octobre 1940 ? Se réfugier dans les vapeurs de l’opium en compagnie de Joseph Kessel ? Ou se retirer dans un monastère zoroastrien ?

« L’uchronie, déclare Rouart au Figaro, permet au romancier une totale liberté pour réécrire l’Histoire. Il peut laisser libre cours à sa fantaisie, s’amuser, en espérant aussi amuser le lecteur, tout en abordant des vérités que les historiens professionnels délaissent. J’ai écrit ce livre en pensant à ce jugement de Napoléon: « L’Histoire est un mensonge qu’on ne conteste plus. » Et la période que j’ai choisie, celle qu’illustrent de Gaulle et Pétain, est l’objet d’un formidable manichéisme. On est en noir et blanc. Dans une forme de bondieuserie saint-sulpicienne pour célébrer le général de Gaulle et, à l’inverse, dans une diabolisation totale de Vichy. Cela est satisfaisant pour les grandes commémorations, mais non pour la vérité, telle que les contemporains ont pu la vivre. (…) François Mitterrand me disait: « L’opposition aujourd’hui n’est pas entre gaullistes et pétainistes, elle est entre ceux qui ont connu cette époque et ceux qui ne l’ont pas connue. » En effet, on cède trop au défaut de ne pas contextualiser les événements. Il est vrai que les passions idéologiques et les a priori historiques de M. Paxton ne nous y aident pas beaucoup. C’est ce contexte humain, surprenant, déroutant, que je m’efforce de décrire. (…) C’est le privilège du romancier qui tente d’enchanter la vie d’essayer de reconstruire l’Histoire qui aurait pu être en lui donnant des lumières plus humaines et moins cruelles. Sinon à quoi serviraient les romans ? »

La réussite est au rendez-vous. Brouillant les pistes avec un art consommé, mêlant habilement les personnages réels (tel l’aviateur François de Labouchère, auquel il est ainsi rendu un hommage discret) aux personnages inventés, multipliant les situations loufoques (Staline donnant l’ordre de ne le déranger sous aucun prétexte pour cause de projection de La Chevauchée fantastique de John Ford, contraignant pour cette raison de Gaulle à faire antichambre avant de lui proposer de regarder en sa compagnie le Jeanne d’Arc de Dreyer), ne mégotant pas sur la volupté de quelques femmes sublimes dont l’une a appris l’art du fang-chung à Shangaï dans le temple de l’érotisme fréquenté par la future duchesse de Windsor, ménageant le suspens, Rouart propulse de Gaulle et le carré de ses derniers fidèles dans un étonnant voyage dont le lecteur ignorera, jusqu’à la pirouette finale, la destination.

Quelques réserves

Certains trouveront que le roman pèche par sa trop grande légèreté. Un sujet pareil, diront-ils, aurait mérité plus de sérieux. Que serait devenue la France en l’absence de Pétain ? Quelle aurait été la réaction allemande ? Le sort des Français demeurés en métropole s’en serait-il trouvé aggravé ? Ce départ aurait-il suffi à réaliser l’union, comme le pense Raymond Aron (Le Spectateur engagé, Julliard, 1981) ? Aurait-il permis d’éviter les excès de l’épuration ? Rouart n’a pas voulu s’aventurer sur ce terrain. Prudemment, serait-on tenté d’écrire, tant le nom de Pétain fait aujourd’hui figure d’épouvantail ...

Encore un mot...

Un roman picaresque brillant, où l’humour et la fantaisie dominent, tout en mettant mezzo voce sur le tapis quelques réflexions non dénuées d’intérêt sur le plan historique.

Une phrase

« Soudain, il sentit une présence en face de lui. D’abord, il ne distingua que ses yeux bleus de bourrache éblouie, les mêmes que ceux de Paul Valéry : Pétain était devant lui. Toujours propret, élégant dans son costume gris, fleurant l’eau de Cologne, la moustache neigeuse immaculée, avec sur le visage ce sourire malicieux qui embobinait les visiteurs tant il semblait affable et éloigné de sa statue de maréchal de France. Il le fixait d’un regard amusé comme s’il lui avait joué un bon tour.

  • ‘’Alors, vous ne vous attendiez pas à me voir ?’’

Le Général était ému. Pour la première fois de sa vie - et peut-être la dernière -, il perdit ses moyens. Il bafouilla. »

L'auteur

Jean-Marie Rouart a le génie du dilettantisme. Cet académicien élu en 1997 au fauteuil de Georges Duby, auteur d’une œuvre considérable (romans, essais, biographies – dont celle, très originale, de Napoléon), ami intime de Jean d’Ormesson auquel ce roman est dédié (avec lequel il partageait humour et amour des femmes), ne semble avoir que le plaisir à la bouche et le désir de le faire partager.

Le clin d'œil d'un libraire

Librairie Fontaine à Apt. Elle inonde tout le Luberon de ses conseils de lecture sur la littérature contemporaine

De Cavaillon à Apt et au-delà, les amoureux du livre et des lectures insolites, Français ou non, résidents ou touristes, aiment à rencontrer un des 4 libraires de la librairie Fontaine. Une seule librairie pour les 12 000 habitants de la bonne ville d’Apt, mais en moyenne près de 150 livres sortent chaque jour des rayons d’un des fleurons de cette belle enseigne qui compte 7 points de vente en France. Sabine Didier, jeune libraire qui a roulé sa bosse de par le monde n’est pas peu fière de nous faire connaître son coup de cœur : « La vie des Reines »  de Joumana Haddad chez Actes Sud, un roman sur fond d’histoires vraies, les heurts et malheurs de quatre femmes en Irak et Syrie en guerre - 18 exemplaires vendus en 3 mois - record national. Sabine illumine ses clients tout comme la célèbre entreprise d’Apt, Blachère, N°1 de sa spécialité, illumine les Champs Elysées chaque Noël. En plein Colorado provençal, 25 000 références attendent les passionnés en quête d’émotions et d’exotisme chez Fontaine. Un détail attachant : dans une vie antérieure, Sabine, militante de la francophonie en Afrique, s’était consacrée, pour la cause, au « désherbage » de certaines bibliothèques pléthoriques de Provence. L’amour du livre mène à tout. Ah ! Si toutes les Sabine des librairies Fontaine pouvaient nous faire découvrir elles-mêmes leurs coups de cœur en direct ? 

Librairie Fontaine, 16 rue des marchands 84400 Apt. 04 90 71 14 03.luberon@librairiesfontaine.com

Texte et interview par Rodolphe de Saint-Hilaire pour Culture-Tops

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