Je suis la sterne et le renard

Un beau conte philosophique aux résonnances très actuelles
De
Alain Mascaro
Flammarion
Publication en avril 2025
315 pages
22 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

On dit, dans les basses terres où elle est venue se réfugier, que Barbra a été "prise" par l'Orm, le dragon qui vit sous les volcans. Elle engendrera alors des enfants qui, s'ils ne sont maudits, seront craints. Mais la vérité pourrait être tout autre. La saga du clan de l'Orm décrit le destin de Barbra et de ses filles, petites-filles et arrières-petites-filles, partagé entre les basses terres de fjords isolés d'Islande - le Dedans- et les hautes terres sauvages qui les dominent - le Dehors - terres volcaniques, de mystères, de légendes, de feux, de sources et de nature préservée.

Si nous sommes probablement au temps des premières croisades, ces quatre destins, quatre vies, quatre récits, seront délivrés par une mystérieuse conteuse qui va progressivement en délier les lianes, révéler des soumissions et des secrets, affirmer, pour chacune, leur lien indéfectible avec la terre, la mer, l'eau et le feu, avec la sterne et le renard, symboles du fragile équilibre d'un monde qui vacille vers les âges modernes. 

Points forts

Je suis la sterne et le renard éclaire quatre parcours de femmes, dans un monde sauvage, dominé par les hommes. Elles n'auront pas toutes choisi d'enfanter, mais transmettront à chacune de leur fille, des paraboles, des contes, des avertissements, des signes, un livre, qui en feront des femmes libres. Chaque récit s'attache à une génération, à un destin dont on découvrira les continuités et les ruptures, mais toujours un amour sans limite pour la nature, dont chacune apprendra à interpréter les signes. 

Si la place des hommes est peu glorieuse, il y en aura un, Bjorn, forgeron de pierres d'étoiles (des morceaux de météorites) qui "sauvera" les autres par sa générosité et son envie de construire une société plus ouverte aux attentes de ces femmes souvent recluses au bord du monde, à enfanter, mourir en couches, ou élever leurs enfants. 

Il faudra du temps pour découvrir toutes les facettes de la métaphore des deux animaux symboles de ce roman, nous ne les révéleront pas, mais seront, pour beaucoup, matière à réfléchir.

Petite précision, la sterne est un oiseau de mer, migrateur, présent sur toutes les mers du globe, et notamment en Arctique où elle revient nicher l'été. On l'appelle aussi, sous d'autres cieux, hirondelle des mers.

Quelques réserves

Pas de réserve pour ce roman très bien écrit, poétique, à l'intrigue discrète et efficace. Il nécessitera un effort de mémorisation des noms, des lieux et des générations, comme d'autres romans islandais nous en avaient déjà imposé l'exercice. Effort utile, car il permettra de comprendre qui est cette mystérieuse conteuse qui nous révèle cette histoire plus intemporelle qu'il n'y paraît. 

Encore un mot...

Il y a des romans pour lesquels la chronique est une évidence. Je suis la sterne et le renard est de ceux-là. Il vous transporte des siècles en arrière, il vous parle d'un monde qui n'est plus, mais ce monde pourrait être le nôtre, à l'écoute des prophéties de ces femmes libres et courageuses, qui luttent pour préserver des traditions d'un monde en transformation. Car ces cultures subirent les assauts d'un christianisme naissant et tolérant le paganisme de l'époque. Elles se fissurèrent quand ces sociétés hyperboréennes, prises par le vertige des voyages, du commerce et des conquêtes, commencent à oublier la vie - simplement la vie - en symbiose avec la nature.

Une phrase

  • " C'était un spectacle indicible et troublant, qui venait comme une grâce après bien des jours sombres. Elle était restée immobile malgré le vent cinglant, à regarder s'éteindre les étoiles bien avant qu'elles ne touchent le sol. Elles mouraient en quelque sorte, leur errance s'arrêtait là, sur ce land désolé, mais si merveilleusement beau, et transfiguré par la danse des Lumières du Nord. Une étoile était tombée non loin, petite lueur céleste descendue sur la Terre. Le land avait frémi au moment de l'impact, comme un bref frisson sur son échine encore couverte de neige et elle avait perdu les eaux. Elle avait marché tout droit vers le petit cratère qui était comme un tombeau de lumière. Juste à côté, les laves colorées crachaient des fumerolles ; une source chaude avait formé une vasque fumante et profonde où se jetaient aussi les eaux froides d'un ruisseau de fonte. Elle avait rendu grâce aux étoiles de lui avoir envoyé l'une d'entre elles pour lui montrer le salut." P 111

  • "Alors écoute une dernière fois l'histoire du clan de l'Orm ! Elle n'aura pas de fin : des voix viendront après la mienne qui la reprendront où je l'aurai laissée. Ainsi se tissent les sagas, sur la trame même des tessitures qui se succèdent, s'entrelacent et profèrent les destinées.
    Entends-les qui s'appellent et se répondent avec le désir obstiné de lentement changer le monde. Car s'il n'y avait cet espoir insensé, à quoi pourrait bien servir de raconter des histoires ?
    […]
    Alors écoute... […] sache que la forge d'Arnar s'appelle aujourd'hui La Maison de la Sterne et du Renard.
    J'ai bien du mal à l'appeler autrement, moi qui ne l'ai jamais connue que sous ce nom. C'est un endroit magique où les douleurs s'apaisent, comme si elles s'en allaient avec les braises et le métal en fusion. Mais en ce temps-là, on disait encore indifféremment « la forge» ou « chez Björn »." P 205 et 206

  • " On voyait donc assez souvent les trois générations du clan de l'Orm parcourir les terres qui bordaient le domaine: Barbra, Aana et Álfheidr entouraient Bjólan pour lui montrer le land. Et le land, ce n'étaient pas les fermes, ni les troupeaux, ni les pâtures ; le land, c'était tout ce qui n'avait pas encore reçu la marque de l'homme et qui ne devait surtout pas la recevoir, sous peine de dépérir puis de disparaître." P 239

L'auteur

Alain Mascaro a vu, il y a quelques années, sa vie de professeur de lettres transformée par sa passion des voyages. Lui prend alors le désir d'écrire. Avant que le monde ne se ferme, son premier roman, publié en 2021, reçoit le prix Première Plume et Talents Cultura 2021, élu par les 50 livres préférés des Français en 2022. Grand lecteur de romans d'aventure et de science-fiction, il écrit aussi de la poésie. L'aventure de son second roman, Je suis la sterne et le renard, a commencé au bord du fjord de Vatn (un des lieux de la saga) en 2020 pour s'achever en résidence au Centre National des Écritures de Villeneuve les Avignon, en mai 2024.

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