JOHANNESBURG

Un bon roman: retour à Johannesburg le matin de la mort de Mandela
De
Fiona MELROSE
Traduction de Cécile Arnaud
Éditions Quai Voltaire
322p
23 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

Décembre 2013. De retour à Johannesburg, sa ville natale, pour préparer la fête des 80 ans de sa mère, Gin se réveille le matin de la mort de Mandela. Alors que, progressivement, toute la ville forme un fleuve qui coule en direction de la Résidence pour pleurer Madiba, elle va se trouver confrontée à ses désirs et ses failles en même temps qu’elle croise ou recroise d’autres trajectoires complexes : celle de sa mère, avec laquelle elle entretient un lien ambivalent, des domestiques noirs, d’un étrange chantre de la liberté et de la justice bossu et illuminé, d’un ancien amant qui continue de passionnément l’aimer, et aussi de sa ville, violente, suffocante, unique. 

Points forts

- En tout premier lieu, il faut saluer la très belle traduction de Cécile Arnaud. Elle restitue avec finesse et grâce l’analyse précise et riche des sensations et sentiments de chacun des douze personnages, ainsi que l’atmosphère de la ville.

- Le tempo particulier de ce roman qui se savoure plus qu’il ne se dévore. Au cours d’une seule journée, et grâce au procédé choral,  on voit se constituer et évoluer des portraits humains qui se précisent au fil des chapitres. On s’attache à chaque drame individuel jusqu’à la tragédie finale et l’impasse.

- Le roman social et politique qui, tout en subtilité et sans militantisme, montre la peur persistante et réciproque entre Blancs et Noirs, le mépris des premiers pour les seconds, les conditions de vie luxueuses des uns et inhumaines des autres. Mais aussi le mode de vie superficiel et corseté dans l’ennui des Blancs fortunés.

- Le roman familial qui oppose la mère, Neve, incarnation de sa caste – ce qui n’exclut pas les frustrations – et Gin, la fille, qui n’a pu trouver la survie et le salut qu’en fuyant une ville et une société étouffantes et s’en allant cultiver son art à New-York. Les retrouvailles de Gin avec sa ville et sa mère sont un véritable tremblement de terre pour elle.

- La figure de la liberté et du sacrifice incarnée par le personnage de September. Bossu, exploité, victime de violences policières qui ont laissé d’indélébiles séquelles, September manifeste pacifiquement tous les matins devant l’entreprise à qui il doit ses maux, réclamant justice inlassablement. Îlot de résistance, voix silencieuse provoquant la méfiance des Noirs et l’effroi des Blancs, on ne sait dire s’il est exalté, voire fou, ou bien d’un idéalisme admirable.

– Johannesburg, qu’on découvre par les interstices des portraits. Menaçante, d’une intensité sourde, crasseuse, injuste, absolument africaine. Un véritable personnage. 

Quelques réserves

- certains lecteurs impatients ou amateurs d’action pourront avoir du mal à entrer dans ce roman dont la lenteur et la structure chorale ne facilitent ni l’accroche ni la fluidité.

- Le point de vue du chien, Juno, m’a paru plutôt incongru et peu vraisemblable au milieu de la polyphonie des personnages.

- Le rapprochement ouvertement opéré par l’auteure avec Mrs Dalloway et dans une moindre mesure Une chambre à soi, les célèbres romans de Virginia Woolf, n’apporte rien à l’ouvrage. On peut très bien lire Johannesburg sans connaître une ligne de ces romans-là. La résonance tient essentiellement dans les prénoms, l’organisation de la réception (d’anniversaire), et le suicide d’une tante nommée Virginia. L’auteure s’est fait plaisir.

Encore un mot...

N’ayant pas lu Midwinter, son précédent roman, je ne connaissais pas F. Melrose. J’ai beaucoup apprécié son écriture, même si sa volonté appuyée de tout analyser laisse peu de place à l’imagination. Le titre de l’ouvrage, Johannesburg, me laissait attendre un roman intense, implacable, voire violent à l’image de la ville elle-même. Melrose prend une autre option : sa radiographie en filigrane est intéressante et donne parfois lieu à des pages poignantes. Mais ce sont surtout les personnages de la mère et de la fille, ainsi que September, qui ont tenu ma lecture. Trois figures, à des niveaux différents, du tragique de l’incommunicabilité.

Une phrase

« Je m’appelle September, vous me reconnaîtrez à ma bosse. C’est un sommet sacré qui se dresse entre mes épaules.(…) Tous les jours, je fais mon pèlerinage au Diamond, la maison des patrons de la mine, les assassins. Je vais manifester devant leur porte. Si vous ne me trouvez pas là-bas, c’est que je suis sur un îlot, entre la 11e Avenue et la bretelle d’entrée de l’autoroute. De là, je sens la ville entière déferler sous moi(…) C’est le coin des rois (…). Ils viennent rendre visite au père de notre nation.(…) Je crie pour leur souhaiter la bienvenue.(…) Mais aujourd’hui le roi est mort. Vive le roi. »

L'auteur

Fiona Melrose est née à Johannesburg. Après avoir vécu en Angleterre, elle est rentrée s’installer en Afrique du Sud. Elle a connu plusieurs carrières dans l’analyse politique pour des ONG et le secteur privé. Après un premier roman remarqué (Midwinter, chez Quai Voltaire, 2018, et 10/18 en 2019, sélectionné pour le Baileys Women’s Prize for Fiction 2017), elle livre ici son deuxième ouvrage. 

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