La cité des nuages et des oiseaux

Un hymne aux récits disparus, un roman inclassable
De
Anthony Doerr
Albin Michel
Traduit de l'américain par Marina Boraso
Ed originale 2021, édition française Août 2022
694 pages
24,90 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Titre et sujet, La Cité des nuages et des oiseaux est le nom donné à un codex - un ouvrage très ancien, rédigé sur parchemin, copié, recopié, re-recopié… Il raconte l'aventure fabuleuse d'un berger transformé en âne et en oiseau, qui découvre une cité dans les nuages, et peut être, la félicité éternelle. Mais que sait-on vraiment de cette fable ? Comment est-elle arrivée jusqu'à nous ? Pourquoi Zeno Nikis, mécanicien prisonnier en Corée, en a-t-il fait la traduction ? Et pourquoi le père de Konstance lui raconte-t-il dans son vaisseau ? Pourquoi Konstance cherche-t-elle avec tant de persévérance sa trace dans le passé ? Pourquoi Seymour, autiste et programmeur génial, sème-t-il des chouettes dans son Atlas virtuel ? Pourquoi Anna et Omeir, inconnus l'un à l'autre, sont-ils de chaque côté des remparts de Constantinople en 1453 ? Toutes ces questions forment les fils entrecroisés de ce récit composé de très nombreux et courts chapitres. Et tissent progressivement la parabole de ce conte philosophique, ballotté comme une bouteille jetée à la mer, fondateur du parcours de vie de chacun des personnages du roman.

Points forts

La Cité des nuages et des oiseaux est un roman incontestablement très inventif. Il mêle autant les vies que les époques, les personnages que les situations, avec pour introduction de chacun des 24 chapitres, un pan de la fable dévoilé. Il parcourt les siècles, des années 1400 à 2146 - sans oublier le présent ; parcourt la planète, de la Corne d'Or à l'Anatolie, du Michigan au Groenland, en passant par la Corée ; parcourt l'espace, qu'il soit mythique, virtuel ou réel - bien que sur ce plan, il vous faudra aller jusqu'à la page 675 pour en avoir le cœur net. 

Les chapitres sont de plus en courts au fur et à mesure que le récit avance, comme une tension accumulée qui se libère dans la respiration du coureur de fond, à la fin de son marathon ! L'écriture est sans fioriture, descriptive, efficace, propre à une représentation factuelle des lieux et des situations.

Quelques réserves

Anthony Doerr est loué pour son imagination. Sur ce plan, vous ne serez pas déçus. Mais son écriture factuelle est pour moi terriblement stéréotypée, dans les standards d'une littérature américaine gavée de références aux marques qui font le quotidien des personnages. Mais de part et d'autre des remparts de Constantinople, ou dans l'espace de vie de Konstance (qui est le personnage principal du roman) vous en serez plutôt dispensés. 

Réserve encore : le temps nécessaire à trouver le fil du récit, ce qui relie les parcours de vie entre eux. De ce fait, le risque de décrochage avant le milieu du livre (vous serez quand même arrivé vers la 300ème page) est non nul.

Encore un mot...

La cité des nuages et des oiseaux a été décrit par la critique comme un hommage à la littérature. Si vous le lisez avec cet espoir, vous risquez d'être déçus. Oui, au fil des 694 pages, force sera de constater que le point commun entre la vie des personnages et les époques est bien cette fable - peut être pas tout à fait inventée, et prêtée à un moraliste grec, du nom de Diogène. Ou plutôt au croisement de l'âne d’Apulée avec les oiseaux d’Aristophane. Oui, on finira par comprendre qu'elle témoigne du triomphe de l'esprit et de la force de la littérature comme résilience à toutes les violences, à tous les périls, comme nourriture à tous les éveils et à tous les épanouissements. Mais avouez que là, je vous aide un peu à aller au bout du roman. 

Sentiment mitigé donc, pour cette œuvre couronnée du Prix de la littérature américaine 2022. Inventif et original incontestablement, au risque de vous perdre quelque part entre la bibliothèque municipale de Lakeport (Michigan) et les fils innombrables de Sybill, supercalculateur d'un vaisseau fuyant une planète ravagée  (oui nous sommes dans la fiction prémonitoire) pour un monde  meilleur (une exo planète naturellement). 

Au fond, il y a dans ce roman plutôt inclassable, un curieux mélange de littérature efficace (bien que sans "affect"), de message philosophique subliminal à vocation rédemptrice et d'imagination fertile pour embarquer de nombreux lecteurs dans une fiction qui enjambe les siècles. De là à crier au chef d'œuvre…

Une phrase

" Zeno fouille dans les tiroirs de son esprit.
"Nostos.
-Nostos, c'est bien ça. Le fait de retrouver son foyer, de rentrer chez soi sain et sauf. Evidemment, il est toujours risqué de chercher une équivalence entre un mot grec et un mot anglais. Nostos désigne aussi un chant qui parle du retour au foyer". 
Zeno se lève pour reprendre sa charge, la tête lui tourne. Rex range dans sa poche le morceau de charbon. 
[…] "Imagine ce qu'on pouvait éprouver en entendant ces chants anciens sur le retour des héros. En se disant que c'était possible."
Plus bas, sur la couche de glace de la rivière Yalu, le vent remue d'amples tourbillons de neige. Rex se blottit sous sa veste. 
"Le principal, ce n'est pas le contenu du chant, mais le fait que le chant ait perduré." P 279

L'auteur

Anthony Doerr est un romancier américain, salué par la critique, honoré du Prix Pulitzer en 2015 pour son livre Toute la lumière que nous ne pouvons voir. Ce roman historique, qui raconte la vie de deux enfants que la Seconde Guerre mondiale fait se retrouver, jeunes adultes, à Saint Malo, doit faire l'objet d'une adaptation pour la chaîne Netflix. Publiés chez Albin Michel pour les éditions françaises, il a écrit trois romans et deux recueils de nouvelles.

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