
La Vie brève et les grands chemins
juin 2025
384 pages
21 €
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Thème
Confiné dans le lazaret de Mahon sur l'île de Minorque, dans un bateau de retour de l'expédition de Bonaparte en Egypte en 1800, le Comte Léandro Urbina de Piedraescrita, encore jeune et riche aristocrate Castillan, croise la belle Zenobia. Pour lui, le coup de foudre est immédiat. Esclave syrienne et chrétienne, elle se veut fidèle à l'homme qui lui a promis en Espagne un riche mariage. Mais elle donne à Léandro une chance de la séduire : six nuits, avant la fin de la quarantaine, pour lui conter sa vie et la convaincre d'un amour d'égal à égale. Léandro engage alors un récit passionné et sincère, qui le conduit de l'abandon de la carrière militaire à la recherche d'un oncle méconnu en Flandre, à la rencontre des fastes et des bas fonds de Paris avant la Révolution, l'amitié sulfureuse avec William Beckford, riche aristocrate anglais, amateur d'art et auteur d'un roman décrié et célèbre, Vathek.
Il sera question d'amour, de littérature et d'opéras, de Castille et d'Orient, des idées des lumières, dans la pénombre des auberges, l'éclat des salons, des ambassades et des palais. Le récit d'un homme lucide sur lui-même et sur son temps, un dialogue sans faux semblants avec une femme fière de sa culture, pour s'offrir peut être à l'un et à l'autre, au terme de ces nuits, un nouveau destin.
Points forts
Ce roman construit sur le principe des Mille et Une Nuits compose un voyage intéressant dans l'Europe de la fin du XVIIIème siècle.
De la Castille à la France, de la Hollande à l'Angleterre, vers l'Orient encore, les images sont nombreuses et constatées, mais la culture "française" compose un trait d'union entre les lieux et les personnages.
Écrit en majorité à la première personne (Léandro se confie), le style est dynamique, poétique parfois. L'écriture est riche, y compris d'expressions de l'époque. Le va-et-vient entre le présent du récit, les confessions rétrospectives et introspectives du Castillan, sa découverte de l'amour et ses illusions, la voix discrète mais incisive de Zenobia, apportent beaucoup de diversité au récit.
Ce roman m'a paru dénué de ces stéréotypes qui font deviner la suite avant de l'avoir lue, ce qui contribue à son charme.
Cela est dit dans les remerciements à la fin du roman, mais il faut souligner que l'amitié entre le Comte Léandro (qui reste un personnage de fiction) et William Beckford est parfaitement documentée par la thèse qu'avait soutenue en 2007 Carine Fernandez sur l'œuvre majeure du britannique. Vathek, publié en français en 1782 est un conte orientaliste et "licencieux", apprécié de Lord Byron, Edgar Allan Poe, Flaubert ou encore de Paul Morand et des surréalistes.
Quelques réserves
Pas de réserve sur ce roman qui joue parfaitement son rôle d'invitation à un voyage sur les chemins affectifs, intellectuels et politiques d'une Europe qui se recompose.
Encore un mot...
La Vie brève et les grands chemins présente un titre énigmatique qui évoque la force et la brièveté des sentiments des premiers âges adultes, et l'influence des voyages dans la composition d'une personnalité. De tout cela, il est question dans ce roman élégant dont on peut apprécier la sincérité du personnage de Léandro, en particulier dans la narration rétrospective des relations avec les femmes qui ont marqué durablement sa vie.
Aux côtés d'un homme acteur et témoin, avec un procédé littéraire habile - les cinq et une nuits - on y voyage avec plaisir et surprises, dans un tournant de siècle bouillonnant, qui n'est pas sans évoquer, dans son esprit, La confession d'un enfant du siècle d'Alfred de Musset.
Une phrase
Léandro : "Je ne m'imagine pas une seconde ce qu'il va me confier. Mais après coup, je réalise que c'était de sa part un véritable coup monté. D'abord le livre qu'il sait que je lirai le soir même, cet incomparable Vathek qui coulera en moi comme un philtre. Oh! Il ne doute pas une seconde des effets de son livre! Ensuite, la marche, et il faut dire qu'il a choisi son jour, le temps est de la partie. Un véritable guet-apens climatique! Une journée radieuse, sans un souffle de vent, les tilleuls perlés de givre s'élancent, sveltes, dans le ciel limpide. Un temps d'hiver madrilène, glacial, un temps cru de vérité. Je suis convaincu que si le temps avait été plus incertain, l'air plus humide, le ciel plus brumeux, William n'aurait pas été aussi franc. La vérité est parfois question de météorologie." P 253
Zenobia : «Je veux que tu me parles de toi. De toi et de ta femme qui m'a l'air mille fois plus digne d'intérêt que ce coq anglais. Elle attend un enfant et, hélas, elle mourra, car tu m'as dit que tu étais veuf. Pauvre Cristina ! Demain, Léandro, demain c'est d'elle que tu me parleras.» P 262
L'auteur
Carine Fernandez est une autrice et poétesse française. Évadée à 16 ans du carcan familial pour un mariage avec l'Orient, elle obtient au Caire, en pure autodidacte et candidate libre, son bac. Retour en France, puis aux Etats Unis où elle décroche un doctorat sur Un voyage en orient de Gérard de Nerval. L'Arabie Saoudite puis à nouveau la France où elle devient professeur de français et achève une seconde thèse, Vathek le défi d'un anglais à la littérature française, sur le conte oriental fantastique de William Beckford. Elle publie son premier roman, La Servante abyssine, chez Actes Sud en 2003. " Rêveuse obstinée à traquer le fantôme du roman ", elle en publie sept autres, dont Mille ans après la guerre, paru aux Escales en 2017, couronné notamment par le prix Henri de Régnier de l'Académie Française ; il a été traduit en espagnol et en arabe.
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