Le Cerf-volant
205 pages
18,50 €
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Thème
Léna a fui en Inde, entre Chennai et Pondichéry, à la suite d’un drame personnel. Sa rencontre fortuite avec Lalita, une jeune ‘’Intouchable’’ déracinée et illettrée et Preeti, la cheffe d’une brigade d’autodéfense de femmes, est le point de départ d’une nouvelle vie, qui donne tout son sens à son ancien métier d’enseignante. Léna se bat avec acharnement avec les autorités locales et les familles illettrées pour ouvrir une école, instruire les très jeunes filles et les arracher à leur condition de futures esclaves dans un pays encore marqué par les violences extrêmes infligées aux femmes.
Points forts
Laetitia Colombani nous éclaire sur les aspects les plus sombres de certaines franges de la société indienne contemporaine. La condition des très jeunes filles y est particulièrement choquante. Pour alléger les charges qui pèsent sur leurs parents, celles-ci sont parfois mariées à l’âge de 10-12 ans, au mépris de la loi qui exige pourtant la majorité. La femme devient la propriété de son mari, souvent un parent éloigné plus âgé, et elle est soumise à l’autorité absolue de sa belle-mère. Léna réalise que cette coutume est le vrai ennemi des femmes et qu’elle entretient la misère. Reprenant à son compte le proverbe africain selon lequel, ‘’éduquer une femme c’est éduquer toute une nation’’, Léna est déterminée à briser à son échelle cet enchaînement mortifère en offrant aux jeunes indiennes la possibilité de lire et écrire, au besoin en réglant de sa poche la nourriture de ses élèves ou le salaire du remplaçant de Lalita dans le restaurant où elle est employée.
Laetitia Colombani émeut le lecteur lorsqu’elle raconte le mariage forcé de Janicki, l’amie intime de Lalita à l’école, et sa mort, dans un fossé, fauchée alors qu’elle fuit le mari que ses parents l’ont contrainte à épouser. Les pages sur l’indicible condition des Intouchables, assignées à vie à des tâches sordides, comme le nettoyage des latrines pour le père de Lalita, sont également émouvantes et interrogent sur la résistance de pans entiers de la société indienne au changement. Cette résistance est dûe principalement à l'absence d’instruction, à la misère et au poids des traditions.
L’humour n’est pas absent de ce roman (inspiré semble-t-il d’un témoignage recueilli par l’auteure). Le lecteur sourira à l’évocation du portrait de Preeti, la jeune cheffe rebelle des Red Brigades, une organisation d’autodéfense de jeunes femmes. Habillées de noir, symbole de la protestation, et de rouge, symbole de la colère, ses membres pourchassent les auteurs d’agression sexuelle qui bénéficient souvent de l’impunité de la part des autorités, surtout lorsque les victimes appartiennent à la classe des Intouchables.
Quelques réserves
Les raisons et les circonstances du départ de Léna en Inde, que le lecteur découvrira au gré du récit, paraissent inutilement dramatiques. La détermination de Léna, sa sympathie viscérale pour la cause des jeunes filles indiennes, la naissance d’une forme de sentiment maternel envers Lalita auraient pu trouver à s’exprimer avec conviction sans qu’il soit nécessaire d’introduire un motif aussi spectaculaire et somme toute artificiel à la fuite en Inde.
Le récit traduit aussi, nous semble-t-il, les hésitations de Laetitia Colombani sur la manière de susciter l’indignation du lecteur devant la condition des très jeunes filles qui se cumule avec celle des castes inférieures en Inde. Le ton journalistique parfois utilisé, ne fait pas bon ménage avec le ton plus intimiste et sensible qui est déployé par ailleurs dans le cœur sensible du roman et qui repose sur les histoires émouvantes de Lalita, Janicki et Preeti.
On regrettera enfin quelques descriptions d’inspiration touristique et qui semblent comme plaquées sur le récit au prétexte de lui donner plus de couleur locale, comme l’intervention d’un charmeur de cobra lors des travaux d’aménagement de l’école.
En résumé, un roman qui vaut davantage pour le témoignage qu’il porte que pour ses qualités littéraires.
Encore un mot...
Le roman de Laetitia Colombani interroge sérieusement nos consciences. La condition d’esclave de ces très jeunes filles, perpétuée par l’ignorance dans laquelle elles sont tenues avec la complicité de la société et de l’État indiens, est un vrai motif d’indignation !
Une phrase
“ Naître fille ici est une malédiction (… ). L’apartheid commence à la naissance et se perpétue, de génération en génération. Maintenir les filles dans l’ignorance est le plus sûr moyen de les assujettir, de museler leurs pensées, leurs désirs (… ). En les privant d’instruction, on les enferme dans une prison à laquelle elles n’ont aucun moyen d’échapper (…). Le savoir est un pouvoir. L’éducation, la clé de la liberté.” (page 48)
“ Peu importe que l’on soit Indien ou Français, savant ou illettré, que l’on connaisse ou non la culture du pays, quiconque a déjà vu une petite fille pleurer le jour de ses noces en a eu le cœur brisé.” (page 168)
L'auteur
Née en 1976, Laetitia Colombani est réalisatrice de cinéma (A la folie…pas du tout) , auteure de comédie musicale (Résiste), et comédienne. La Tresse, son premier roman paru en 2017(Grasset), a connu un très large succès avec deux millions d’exemplaires vendus dans le monde. Elle a fait paraître avec succès Les Victorieuses, en mai 2019 (Grasset). Le Cerf-volant est son troisième roman.
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