Le Héros Discret

De
Mario Vargas Llosa
Editions Gallimard - 480 pages
Recommandation

Parce que Vargas Llosa, même trahi, reste quand même un très grand écrivain.

Notre recommandation
3/5

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Thème

A Piura, dans un Pérou en pleine expansion, Félicito Yanaqué, patron d’une entreprise de transports florissante, est racketté par des inconnus. Fidèle au dernier conseil de son père, « te laisse jamais marcher dessus par personne, mon fils », il refuse de céder au chantage. En parallèle, à Lima, Don Rigoberto, jeune retraité d’une compagnie d’assurance, est amené à prendre la défense de son ex-patron et ami qui s’efforce de soustraire sa fortune à la rapacité de deux fils indignes.

Points forts

1 Une bonne étude de la formidable croissance économique du Pérou et de l’amélioration sans précédent des conditions de vie avec, pour corollaire, l’amollissement des générations montantes qui, n’ayant plus à se battre comme leurs pères, se laissent séduire par la facilité, voire la cupidité. 2 L’originalité des portraits bien campés : - Félicito Yanaqué, riche entrepreneur élevé par un tâcheron miséreux qui a travaillé « comme un esclave » pour permettre à son fils de sortir de sa condition, reste l’homme de son milieu, charmé par les rengaines, les fleurs en cire et les chromos. Il tente, avec plus ou moins de bonheur, d’endurcir ses fils, beaucoup plus gâtés que lui. - Don Rigoberto, formé par un père exigeant dans une société aisée, esthète raffiné soucieux de se préserver un « espace de civilisation », trouve son bonheur à écouter Brahms et à lire les classiques ; il s’efforce de transmettre ses valeurs à son fils Fonfon, lui-même tourmenté d’interrogations métaphysiques incarnées par les apparitions récurrentes d’un fantôme qui dit s’appeler Edilberto Torres. - Les figures de femmes, Dona Lucrecia, l’épouse sensuelle, Dona Gertrudis, la bigote repentante, Mabel, la petite maîtresse écervelée, sont complexes et finalement attachantes. - Enfin, le tandem d’enquêteurs Silva / lLituma déjà mis en scène en 1992 dans Qui a tué Palomino Molero n’a rien perdu de sa faconde.

Quelques réserves

La traduction, à mon avis, détestable : Une certaine Anne Marie Casès vient « doubler » le traducteur historique de Vargas Llosa, Albert Bensoussan. Résultat : une bonne moitié du roman, essentiellement les chapitres qui narrent l’histoire de Felicito Yanaqué, est inintelligible. Le fait de vouloir à tout prix coller au texte original, sans doute pour souligner la modeste extraction du héros, ne justifie en aucun cas la suppression de toute forme interrogative et négative, les barbarismes, les concordances de temps hasardeuses et les lourdeurs illisibles : « A la disparition d’Ismael, pauvre de la compagnie d’assurances ! »… « des comparaisons avec son camarade »… « Je suis en danger depuis avant, on l’est nous tous »… deux petites années, je doute que davantage »… etc. Et, cerise sur le gâteau, Gallimard nous annonce triomphalement une nouvelle traduction (des mêmes) de Conversation à la Cathédrale qui «rétablit intégralement le texte original, harmonise l’articulation stylistique entre les différentes parties du roman, et offre la version la plus fidèle et la plus récente de ce chef-d’œuvre ». Au secours ! Le roman en question, déjà ardu du fait de sa composition éclatée, va devenir inaccessible au lecteur français… Avez-vous oublié, Mesdames et Messieurs de chez Gallimard, la fameuse phrase, reprise par Tahar Ben Jelloun: « Les traductions sont comme les femmes. Lorsqu’elles sont belles, elles ne sont pas fidèles et lorsqu’elles sont fidèles, elles ne sont pas belles » ? Laissez-nous préférer les belles infidèles (celles de Poe par Baudelaire, celle de Kafka par Vialatte…), les œuvres à deux voix qui relèvent de l’interprétation sensible plutôt que de la sèche transcription textuelle, et renoncez à nous saccager un grand auteur qui semble, pourtant, n’avoir rien perdu de sa verve.

Encore un mot...

Comment Vargas Llosa, qui s’exprime parfaitement en français, a-t-il pu accepter une traduction qui ravale sa truculence et son célèbre style polyphonique à un gloubi-boulga du niveau de CM1 (après la réforme de l’Education Nationale) ?

Une phrase

p. 254, à propos de la presse avide de scandale qui poursuit nos héros discrets : "La fonction du journalisme à notre époque ou, tout du moins, dans notre société, n’était pas d’informer mais de faire disparaître toute distinction entre le mensonge et la vérité, de remplacer la réalité par une fiction où se manifestait la masse abyssale de complexes, de frustrations, de haines et de traumatismes d’un public rongé par le ressentiment et l’envie."

L'auteur

Né en 1936 au Pérou, journaliste, romancier, essayiste, auteur d’une bonne trentaine d’ouvrages, (la maison verte, la fête au bouc, conversation à la cathédrale…), Mario Vargas Llosa fait partie des auteurs-phares de la littérature latino-américaine des années 60. Fervent admirateur de Garcia Marquez –avec lequel il se brouille définitivement en 76- il est d’abord tenté par le communisme mais se tourne vers le libéralisme en constatant les dérives de la révolution cubaine. Il fonde alors un mouvement de droite démocratique, Libertad, et se présente sans succès en 1990 à l'élection présidentielle péruvienne. Après cet échec politique, il en revient, pour notre bonheur, à sa passion première, la littérature. Titulaire de nombreux prix littéraires, il voit son œuvre couronnée par le prix Nobel de littérature en 2010.

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"Le Héros discret", de Vargas Llosa: un grand écrivain, desservi par une traduction.

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