Le Parlement des instincts

Une épopée aussi singulière qu'un roman surprenant d'érudition
De
Philippe Cavalier
Anne Carrière
Parution en Mars 2023
750 pages
27 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

En l'an de grâce 1582, un nourrisson est déposé devant la porte du monastère de San Giacomo, en Toscane. Nous voici au seuil d'une épopée pour cet enfant qui n'est pas comme les autres : c'est un malfatti, un enfant porteur de tous les signes du nanisme. Auprès des moines qui le recueillent et l'élèvent sans ménagement avec d'autres enfants nains, Ilario va révéler une intelligence hors du commun et être pris sous la protection d'un moine érudit. Sous l'emprise des découvertes de l'esprit, de l'apprentissage de la lecture, de l'herboristerie, de l'anatomie, de la médecine et de la religion, de mauvaises rencontres ou de mauvais traitements, Ilario va se sentir happé par l'envie de découverte et d'indépendance.

Il va parcourir l'Europe adolescente de la Renaissance, découvrir des savants et des gredins, des artistes et des puissants, intégrer la confrérie des nains "espions" de la sérénissime Venise. Ses talents de peintre, de guérisseur, son érudition, ses amours contrariées, sa "bizarrerie" seront les moteurs de ses voyages subis ou choisis, de ses bons ou mauvais choix. Dans ces pages, Ilario d'Orcia raconte à la première personne son aventure au terme de son chemin de petit homme, dans le langage fleuri, précis et parfois raffiné de ce XVIIème siècle qui compose le cadre de ses aventures.

Points forts

Le Parlement des instincts regroupe des qualités simples et vertueuses pour un roman : une belle écriture, trempée dans le vocabulaire du XVIIème siècle auquel il accorde une large place, une histoire rocambolesque, aussi incroyable qu'elle en est passionnante, un fond historique très soigné jusque dans les détails de la vie quotidienne, qui surfe sur les lieux, les personnages et les grands débats de ce siècle.

Ilario d'Orcia est un personnage qui va participer à des tranches de l'histoire européenne, de Toscane à Venise auprès d'une corporation de nains et de maîtres verriers, en Allemagne et en Tchéquie au fond des mines, à Rome, Naples et Malte dans les pas du peintre Le Caravage, à Prague auprès de l'Empereur Rodolphe II de Habsbourg, aux côtés d'un lion et d'une étrange et belle prédicatrice, pour revenir vers la "Dominante" cité des Doges, au terme d'un parcours que l'on ne peut plus qualifier d'initiatique tant il est foisonnant et riche.

L'intérêt du roman réside, vous l'avez compris, notamment dans la qualité de son contenu historique, où la fantaisie, l'inattendu, se mêlent à un cadre culturel incontestablement érudit, associant aux récits des grandes ou moins grandes figures historiques, dont le parcours est restitué avec précision (notamment une partie de la vie du Caravage et de Rodolphe II de Habsbourg) les débats religieux et politiques, des dogmes aux hérésies, qui ont traversé l'Europe dans la première moitié de ce siècle. 

Il faut noter aussi l'humour et l'autodérision qui restent présents tout au long de ce récit à la première personne. Ce personnage que l'on pourrait qualifier de picaresque, s'il n'était si petit, et si peu scrupuleux, croisera aussi à Paris les Trois Mousquetaires !!

Enfin, le récit est accompagné de nombreuses notes de bas de pages, dont des commentaires, au second degré bien sûr, de l'auteur sur la véracité des propos d'Ilario ! Elles sont toutes très intéressantes, précises, concises pour éclairer le rôle des personnages, des œuvres et leur symbolique de l'époque, des lieux cités, faisant référence à l'histoire de l'Italie et ses folklores, à la philosophie et aux courants ésotériques de l'époque, à la littérature et aux grandes œuvres préservées ou détruites. Celles du fameux Giordano Bruno faisant œuvre de symbole des tensions théologiques, ce frère dominicain brûlé en 1600 à Rome pour avoir mis le soleil au centre du monde et non la Terre, les astres et des planètes ouvrant sur un monde infini.

Quelques réserves

Découpé en cinq chapitres comme la vie racontée par Ilario d'Orcia, le roman est dense, si, de mon point de vue, on ne s'ennuie jamais. 

La comparaison est outrancière, mais il y a aussi un côté "James Bond", dans le rebond des aventures de ce personnage à la laideur subie et assumée, qui se sort quand même de situations plus que désespérées ou reçoit un secours improbable bien que prévisible puisqu'il raconte dans ces pages ses mémoires !

Encore un mot...

Il vous faudra attendre la dernière ligne (ou commencer par là), pour comprendre le titre de ce roman hors norme qu'est Le Parlement des Instinct ! Au fond, s'il malmène la morale, bouscule la vertu, condamne les dogmes, défend sa liberté et invite à un regard nouveau sur toute chose, ce nain aventurier est enfant de son siècle, et fait payer à ceux qui se moquent ou veulent l'asservir, le prix de sa différence. 

Le plaisir de cette immersion dans le quotidien mouvementé d'Ilario d'Orcia est nourri par le riche environnement historique auquel Philippe Cavalier donne vie avec un incontestable talent. La fantaisie en plus, j'aimerai vous convaincre qu'il y a dans ces pages la flamme et la force des meilleurs romans de Ken Follet !

Une phrase

"… protégées par un étui de cuir, je retrouvais les cartes de tarot que le filou m'avait tirées à l'auberge, le soir de notre rencontre. Battant d'instinct le paquet, j'étalais sur le sol les neuf premières cartes. Diablerie ou hasard, se présentèrent à nouveau dans l'ordre exact où elles étaient autrefois apparues : l'Amoureux, la Grâce, la Cornucopia, la Faucheuse, le Prisonnier, le Lion, le Diable, l'Etoile et le Pape… En revoyant ces figures, ma gorge se noua. Ce jeu, en tout, avait prédit mon avenir ! L'Amoureux en quête de la grâce, bien sûr, c'était moi. La Cornucopia, je l'avais bel et bien trouvée dans les monts Erzgebirge. La Faucheuse, c'était Malek Azraël dont j'avais souvent été le serviteur et dont la fresque sur le mur de cette chapelle rappelait encore la suzeraineté sur ma destinée. Le Prisonnier… combien de fois m'avait-on enfermé dans ma vie ? " P 583

L'auteur

Philippe Cavalier est romancier, passionné d'histoire religieuse, des cultures orientales et d'ésotérisme. Il engage en 2005 la rédaction de la quadrilogie du Siècle des Chimères, qui mêle au XXème siècle aventures, histoire et fantastique. Cette "saga" comprise, il a écrit 11 romans. Comme il est dit peu de choses sur le parcours de cet étonnant écrivain, j'ai sollicité d'en savoir plus ! Dans un échange plein d'humour que je ne saurai cependant reproduire ici, voici comment il se définit lui-même: " Plus à l'aise sur les sentiers épineux que sur les autoroutes, … intéressé à tout ce qui repose dans l'ombre des grands savoirs institutionnels : dans l'histoire des idées, les courants de pensée ésotériques ; dans l'histoire des religions, les hérésies ; en politique, les non-conformistes de gauche et de droite ; en art, les classiques, néo-classiques et pompiers (alors qu'on ne jurait que par les abstraits et les conceptuels)... ". Devenu scénariste et game designer dans une société de jeu vidéo travaillant pour les produits digitaux de la Réunion des Musées Nationaux, il rencontrait, en cette précisément année 2005, Stephen Carrière qui sonna l'heure de sa - carrière -  romanesque !

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