Le parti d’Edgar Winger

Jusqu’où peut mener l’engagement politique ? Un roman qui confirme le talent balzacien d’Edgar Winger
De
Patrice Jean
Gallimard
Parution le 7 avril 2022
245 pages
20 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Issu d’un milieu aisé, Romain milite au sein du Parti Révolutionnaire, qui l’a envoyé à Nice pour retrouver Edgar Winger, le théoricien si respecté des combats des dominés, auteur de Splendeurs et misères du capital, dont personne n’a plus de nouvelles depuis vingt ans. Ce séjour lui permet de côtoyer tout à la fois des bourgeois réacs autosatisfaits et mesquins, et un groupe d’anars libertaires, joyeux et généreux. Accusé injustement d’un geste inapproprié par sa camarade Alexia, au nom de la pureté morale, il apprend qu’il est condamné pour son attitude patriarcale et sexiste et, donc, exclu du parti.

Une nouvelle piste le conduit chez Edgar Winger dans un village endormi au bord de la Sioule. Tout excité de rencontrer enfin son grand homme, il découvre ses formes arrondies et sa vieillesse ! En plus, il semble revenu de tout, refuse de parler politique et s’égare dans de vains bavardages. Pessimiste et fataliste, il ne croit plus à la révolution, ni à la lutte contre le Mal collectif, puisqu’il a découvert que le Mal est en chacun. Déçu, écoeuré et indigné, Romain n’en revient pas ! L’ancien philosophe de gauche lui envoie une longue lettre, dans laquelle il explique qu’il a déposé les armes à cause d’une grave « infortune », qui lui a valu un an et demi de prison. Pour Romain, cette rencontre marquera un tournant dans son existence et il tentera de  concilier son militantisme avec un certain bonheur de vivre.

Points forts

  • Une intrigue bien construite à partir du journal intime du narrateur et de la lettre d’Edgar Winger, qui souligne une certaine symétrie entre les procès infligés aux deux protagonistes, même si la gravité des faits n’est pas comparable.
  • Romain rappelle le personnage préféré de son auteur, un trentenaire, soumis à l’idéalisation des femmes, rongé par le désir sexuel, toujours frustré par des rencontres ratées … 
  • Ce roman pose des questions politiques passionnantes : comment relier les luttes historiques contre le capitalisme, l’impérialisme et toute forme d’oppression à celles d’aujourd’hui contre le machisme, le patriarcat, le racisme et le colonialisme du mâle blanc ? Un parti révolutionnaire peut-il échapper à ses fâcheuses habitudes disciplinaires, consistant à accuser, condamner et exclure celui qui s’écarte quelque peu de la ligne imposée au nom d’un puritanisme intransigeant ? Les idéologues sont-ils capables de vivre des joies simples ? Est-il possible de combiner « le prestige du penseur révolutionnaire et les facilités d’une vie bourgeoise » ? 

Quelques réserves

Je n’en vois aucune.

Encore un mot...

Même si ce roman n’a pas l’ampleur du chef d’œuvre précédent, La poursuite de l’idéal, il nourrit notre réflexion sur les illusions ou plutôt les désillusions de l’engagement politique quel qu’il soit. L’écriture fluide, le ton souvent ironique, les portraits très réussis de personnages tellement différents et la manière brillante de saisir l’époque confirment le talent balzacien de Patrice Jean.

Une phrase

- « Emmy est fille du peuple, Alexia fille de la bourgeoisie, l’une pardonne, l’autre condamne. » (p. 128) 

- « Je n’entretenais pas d’illusions sur la bonté humaine, je la savais viciée par la mesquinerie, par la petitesse. Pourtant j’ignorais la puissance du Mal au point que j’appartenais à un courant de pensée qui voyait dans le Mal la conséquence de l’Histoire et la propriété principale d’une seule classe : la bourgeoisie. Quand on sait que le principe du Mal est celui de tout ce qui vit, tout ce qui souffre, tout ce qui jouit, on est comme dépucelé. »( p. 188)

L'auteur

 Le parti d’Edgar Winger, Prix des Hussards 2022, est le septième roman de Patrice Jean, né en 1966. Il étudie la philosophie et devient professeur de lettres. Il poursuit la construction de son œuvre, à travers, tous édités Rue Fromentin, La France de Bernard (2013), Les structures du mal (2015), Revenir à Lisbonne ou l’imposture amoureuse (2016), L’homme surnuméraire (2017), Tour d’ivoire (2019).  Et La poursuite de l’idéal (Gallimard, 2021) dont, ci-dessus, voici le lien pour en retrouver la chronique parue sur Culture-Tops : 

 

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