Le sauvage

Roman puissant, mais inégal et trop profondément manichéen
De
Guillermo Arriaga
687 pages, Ed. Fayard, 25 €
Notre recommandation
3/5

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Lu
par Culture-Tops

Thème

Dans les années 60, le jeune  Juan Guillermo habite un quartier violent de Mexico où il se retrouve seul  après l'assassinat de son frère, Carlos, l'accident de voiture qui a tué ses parents désespérés et la disparition de sa grand-mère, morte de chagrin. Ne lui reste que le désir  exacerbé de venger ses morts et d'en exécuter  les responsables.

En contre-point, se déroule la quête d'un chasseur inuit Amaruq (loup) qui poursuit dans le Yukon glacé un grand loup alpha qui le fascine et abrite (peut-être ?) l'âme de son grand-père.

Les deux traques se répondent et finiront par se rejoindre au bout de 700 pages et de multiples digressions.

Points forts

  • - Les correspondances entre vivants et morts,  domestication et sauvagerie (le chien King, le chien-loup Croc, le loup Nujuaqtutuq en illustrent les trois stades),  les rapports de force entre amour et haine, domination et soumission,  justice et vengeance (« je vais rendre la justice en tuant l'assassin »), qui font la force de ce roman.
  • - La  description très évocatrice du quartier Unidad Modelo de Mexico (sans doute celui de l'auteur) avec ses toits-terrasses et ses ruelles étroites que sautent  enfants et délinquants pour circuler de maison en maison, véritable labyrinthe inaccessible à la police grâce à la complicité paisible de tous les habitants.
  • - Des personnages attachants,  animaux compris, marqués de cicatrices au sens propre comme au sens figuré : Carlos, le grand frère tant aimé, paré de toutes les qualités, Chulo, la tendre amie dont l'influence sereine permettra à Juan Guillermo de dépasser sa sauvagerie et sa haine, Avilés, le dompteur amical...
  • - La lente remontée en voiture vers le Canada pour rendre Croc à sa forêt natale : la description de la traversée de l'est des Etats-Unis est un délice de lecture qui dépasse de loin les meilleures incitations de syndicats d'initiative.
  • -  La nette influence de Faulkner dans la chronologie éclatée et les points de vue divers des protagonistes, même si les cent dernières pages  reprennent un récit linéaire classique.

Quelques réserves

  • - Un manichéisme assumé :
    D'un côté, les bons : Essentiellement les proches et la famille de Juan Guillermo, dont son frère Carlos, un humaniste cultivé qui connaît « Aristote et Kant, Zola et Stendhal, le docteur Atl et Diego Rivera, des noms dont la plupart de ceux qui l'ont tué n'ont jamais entendu parler » ; bien sûr, il a fourni en cocaïne et LSD la moitié des jeunes gens de la ville mais ils avaient leur libre arbitre même si quelques doses gratuites l'ont un peu amenuisé: « A qui mon frère a-t-il fait du tort ? Il n'a forcé personne à se droguer » (p .283). Le fait qu'il en ait retiré une véritable fortune n'a guère d'importance, surtout pas pour son frère qui se bat pourtant comme un beau diable pour récupérer ses comptes après sa mort...
    De l'autre les méchants : les « bons garçons » aux cheveux courts et chemises propres,  catholiques pratiquants issus en droite ligne des « Christeros » qui se révoltèrent contre un gouvernement athée dans les années 1926-29 (épisode qui n'est pas sans rappeler nos guerres de Vendée). « Ces petits curés si prompts à se situer du côté des infâmes »,  antisémites qui tabassent  des commerçants juifs et nient l'holocauste et l'inquisition (p.322), se mêlent aussi de s'attaquer aux dealers, soutenus par une police corrompue.
    La coke, c'est bien, le tabac, c'est mal ; L'école publique, c'est bien, les professeurs font progresser leurs élèves, l'école privée, c'est mal, ça extorque de l'argent aux pauvres sans contrepartie ; Jimmy Hendrix c'est bien, les Beattles, c'est sans intérêt...                                                                                                                                                                                       
  • - Des afféteries de mise en page (pp.123 308 +) et de multiples incidentes qui n'ajoutent rien au récit allant de légendes  africaines, indiennes, hindoues ou roumaines au récit des  morts de Socrate et de Pouchkine, en passant par Von Clausewitz  et son art de la guerre ; Arriaga donne parfois l'impression de vouloir faire étalage d'une culture mal digérée.

Encore un mot...

Roman puissant et inégal qui aurait gagné à être plus court de deux cent pages.

Une phrase

ANIMAL (p. 346):

"A quel animal dois-je m'identifier ? Quel est l'animal qui aime ? Qui se venge ? Qui pardonne ? Qui se bat jusqu'à la mort ? Lequel est invincible ? Lequel est le plus sauvage ?"

L'auteur

Né en 1958 à Mexico, Guillermo Arriaga  est un  réalisateur, scénariste et producteur multiprimé (pour Amours chiennes, 21 grammes, Babel et Trois Enterrements ) en compagnie d'Alejandro González Iñárritu, président du jury au festival de Cannes 2019.  En marge de ses activités cinématographiques, il  écrit également des romans noirs. "Le sauvage" est son quatrième roman.

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