Les liens artificiels

Les dérives vertigineuses vers une planète virtuelle : paradis ou enfer ? Un roman intelligent et percutant
De
Nathan Devers
Albin Michel
Parution le 17 août 2022
328 pages
19, 90 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Affecté par une rupture amoureuse, Julien, musicien raté, traîne sa lassitude et son ennui dans la ville grise de Rungis. Velléitaire, il ne parvient pas à écrire des chansons pour un album au titre prémonitoire « Ensemble et séparés ». Pour échapper au vide de son existence, il se laisse séduire par un jeu vidéo l’Antimonde, qui lui promet une seconde naissance, grâce à son avatar, dans un univers parallèle de tous les possibles, « une planète B virtuelle où tout est bien meilleur », précise l’inventeur de la plate-forme, Adrien Sterner. Julien se crée un nouveau personnage et devient en quelque sorte sa propre image. Il bascule dans le virtuel avec délectation, tout en survolant le règlement qui impose l’anonymat.

Que lui offre cette immersion dans le métavers ? Tous les pouvoirs : acheter de l’argent en crypto monnaie pour vivre dans le luxe, se déplacer n’importe où, multiplier les rencontres, réinventer l’amour, voire même détruire des monuments, commettre des crimes ou ressusciter des morts, bref tout lui est permis sans aucun compte à rendre. Et surtout, en publiant ses poèmes, il va enfin connaître la reconnaissance qui lui manquait tant. Grisé par ce succès phénoménal, Julien dévoile sa véritable identité. Quelles seront les conséquences de cette imprudence insolente aux yeux de Sterner, le maître du jeu ?

Points forts

  • « Ensemble et séparés », voilà la clé pour entrer dans l’Antimonde, parce que nous sommes tous connectés, mais tous renvoyés à notre solitude. Les réseaux sociaux n’établissent que des « liens artificiels ». La quête d’une autre vie dans un autre monde répond à ce « manque impossible à combler. »
  • Le portrait à charge du PDG de Heaven : Adrien Sterner, l’inventeur de cet univers parallèle en 3D, s’inspire de la Bible, vit comme un moine, se comporte en dictateur méprisant avec ses employés et manipule les adeptes du jeu diabolique qu’il a créé, en se prenant pour Dieu, « un futur messie » devenu « un athée milliardaire. »
  • Une question philosophique est posée : pourquoi fuir dans le virtuel ? Certes, la vie de Julien sur la planète B est plus riche, plus excitante, plus débridée que son existence réelle, mais, hypnotisé, comme Narcisse, par la contemplation de sa propre image et soumis à ses désirs de plus en plus délirants, il croit échapper à sa médiocrité, à son mal-être, alors qu’il va sombrer dans l’autodestruction.
  • Un récit facile à lire, rendu haletant par sa construction originale, qui alterne la narration des faits, les dialogues, les commentaires et des poèmes. La musique est très présente aussi à travers le métier de Julien et de nombreuses références à Serge Gainsbourg.

Quelques réserves

  • A force de vouloir brasser toutes les possibilités offertes par l’Antimonde, l’auteur se perd parfois dans des passages invraisemblables ou caricaturaux. 
  • Il faut accepter d’entrer dans ce métavers par le biais de termes techniques connus des seuls initiés.

Encore un mot...

Nathan Devers, doté d’un sens de la formule et d’une plume incisive et ironique, a l’audace de traiter un sujet très contemporain, celui des dérives vertigineuses et dangereuses de ce monde virtuel : au lieu d’atteindre un paradis illusoire, on tombe dans la réalité tragique de l’enfer. Un roman intelligent et percutant, qui sonne comme un avertissement sur le futur apocalyptique du métavers.

Une phrase

  • « Dans l’Antimonde, votre anti-moi pourra tout faire, il réalisera tous les fantasmes que le monde ne vous permet pas d’accomplir. Grâce à moi, vous aurez oublié la sensation de l’ennui. Puisque votre vie n’a pas l’air palpitante, je suis heureux de pouvoir vous en offrir une deuxième. » p.70 
  • Dans ses poèmes, Julien veut « dépeindre une humanité qui n’avait plus rien d’humain. » p.223 
  • Avec le casque, « c’était une planète où tout était vraisemblable et où rien n’était vrai. » p.25

L'auteur

Né en 1997, Nathan Devers, normalien et agrégé de philosophie, est professeur à l’Université de Bordeaux. Écrivain et chroniqueur à la télévision, il a publié Généalogie de la religion (Le Cerf, 2019), Ciel et terre ( Flammarion, 2020), Espace fumeur ( Grasset, 2021). Ce roman Les liens artificiels a été en lice pour le Renaudot et finaliste pour le Goncourt des Lycéens 2022.

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