Les Méditerranéennes

1837-1962, une famille juive en Algérie. Un beau sujet mais desservi par quelques facilités
De
Emmanuel Ruben
Stock
Parution en octobre 2022
416 pages
22 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

L’histoire d’une famille juive d’Algérie à travers la vie de ses femmes et les pérégrinations du chandelier qui passe de génération en génération.

Un roman qui nous fait suivre Samuel à la recherche de sa famille maternelle, du récit des origines au cours d’un dîner de Hanouka jusqu’au voyage au pays.

C’est l’histoire de l’Algérie qui revit, de la prise de Constantine en 1837 à l’exode de 1962, en passant par des épisodes tragiques (le pogrom de 1934 dont on a gommé toute trace, les deux Guerres Mondiales, la répression de 1945) à la lumière des bougies du mythique chandelier familial qui s’allument chapitre après chapitre.

Points forts

C’est un beau sujet, de surcroît peu abordé que ce soit dans le genre historique ou dans le genre romanesque.

L’Algérie reste une telle plaie à vif qu’elle est rarement traitée, sauf par le récit des années de la guerre qui ne disait pas son nom et qui a abouti à l’indépendance du pays ; et encore est-ce le plus souvent sous l’angle partisan avec le souci d’émettre des jugements définitifs (cela vaut des deux côtés de la Méditerranée).

Mais l’histoire de l’Algérie d’avant la France reste à écrire. Quant à celle de la communauté juive, c’est pratiquement une page blanche tant elle est confondue avec celle des Pieds-noirs originaires de métropole.

Or, cette population présente depuis des siècles, et même avant les Arabes, à laquelle le décret Crémieux de 1870 avait accordé d’un trait de plume la nationalité française – refusée aux musulmans – mérite que l’on s’y intéresse et le mérite de ce livre est de nous y plonger de l’intérieur.

Il le fait sans recours au folklore et à travers le portrait de femmes qui échappe toujours à la caricature et sonne vrai.

Quelques réserves

Nous ne sommes plus à l’époque des débuts du cinéma où les producteurs pensaient que l’on serait incapable de suivre une histoire autre que de manière chronologique ; nous pouvons très bien admettre et comprendre le procédé du flashback s’il est employé à bon escient.

Le problème ici est que l’auteur abuse des tours et retours en arrière, de façon généralement gratuite, de sorte qu’il finit par donner le tournis.

De même, des paragraphes où se mêlent le présent, le passé simple et le futur sont-ils nécessaires ?

L’on peut aussi déplorer des concessions à la mode de l’époque ; les dialogues sont convenus et le politiquement correct sévit ; et quel besoin de choquer le bourgeois – qui n’attend que cela – par le triste récit d’une partie de jambes en l’air le soir de l’attentat de Charlie Hebdo, renouvelée qui plus est à celui du Bataclan, sans grand rapport avec le reste de l’histoire ?

C’est dommage car l’auteur a un certain talent dans l’exploration de la culture juive, qui aurait gagné à être approfondi plutôt que céder à ces facilités.

Encore un mot...

Ce livre constitue un démenti définitif à la citation de Danton : « on n’emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers ».

Eh bien si, même s’il s’agit d’une patrie fantasmée (l’antique Algérie d’avant la conquête où les populations vivaient ensemble en bonne intelligence), d’une patrie d’adoption (la France qui hélas n’a pas toujours été présente quand il l’aurait fallu) ou d’une patrie de substitution (Israël où la plupart n’iront jamais)…

C’est aussi la réfutation de la thèse de Sartre selon laquelle est juif celui que les autres définissent comme tel : « on est juif dans le regard des autres ».

Mais non, c’est bien le sentiment personnel d’appartenance à la communauté qui prévaut ; en témoigne Samuel dont le père est goy mais qui se rattache volontairement à son héritage maternel au plus profond de son être, même si, comme il le dit, il ne mange pas casher et n’a aucune pratique religieuse.

Une phrase

[Autant les dialogues sont plutôt pauvres, la description des paysages et le rendu des impressions ressenties par les personnages sont bienvenus et il s’en dégage une certaine poésie, comme en témoigne ce passage sur la visite de Samuel au cimetière juif de Constantine. On touche ici au plus profond de la mélancolie des déracinés : ] 

« Toute la ville s’embrase dans les derniers feux du soleil couchant. Perchés sur leur colline, les morts ont la meilleure vue, comme si l’on avait voulu qu’ils admirent éternellement le panorama de Constantine. La ville que les Arabes surnomment Ad’Dahma, l’Ecrasante, s’étage à leurs pieds. On distingue les coupoles rouges de l’hôpital,  les minarets verts des mosquées, les toits de tuile blottis les uns contre les autres, les façades blanchies à la chaux de l’ancien quartier juif qui s’agrippent au ravin verdoyant du Rhummel, les sept ponts qui relient le rocher au reste du monde et qu’empruntent les fourmis humaines et les limaces métalliques de leurs véhicules. Samuel se souvient d’une phrase d’Alexandre Dumas comparant la ville à l’île volante de Gulliver. Il aurait voulu voir cette île volante apparaître la veille dans le bleu du ciel, mais l’avion avait atterri dans la nuit noire - à travers le hublot il n’y avait que les pointillés des réverbères et les lucioles mouvantes des voitures. 

Le lendemain, les rues grouillaient de monde. Et il a dû fendre une foule bruyante et bariolée pour venir jusqu’ici, se recueillir sur la terre que nourrissent les restes de ses ancêtres. Deux chandeliers couleur de bronze ornent le portail métallique du cimetière, ainsi qu’une inscription gravée dans le marbre : Le riche et le pauvre se rencontrent… L’Eternel les a créés l’un et l’autre. Samuel frappe contre la tôle du portail. Pas de réponse. Se dresse sur la pointe des pieds pour voir à travers les grilles s’il n’y a pas quelqu’un dans l’enceinte sacrée. Hurle à réveiller les morts. Cogne contre les carreaux de la maisonnette attenante au cimetière. Rien. Nulle âme qui vive. » (pp. 124-125)

L'auteur

Comme son Samuel, Emmanuel Ruben est né en 1980 à Lyon. Dans ses remerciements en fin d’ouvrage, il ne fait pas mystère du caractère autobiographique de son récit puisqu’il indique : « ce livre est un roman partiellement et librement inspiré de l’histoire réelle de ma famille maternelle ».

Il est l’auteur d’une dizaine de romans et essais placés sous le signe du voyage dont Sur la route du Danube, aux éditions Payot & Rivages, récompensé en 2019 par le prix Nicolas Bouvier. 

Les Méditerranéennes ont reçu le Prix du roman historique décerné lors de l’édition 2022 des Rendez-vous de l’Histoire de Blois.

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