LES TROIS FEMMES DU CONSUL

Son Excellence Rufin, souvent excellent par ailleurs, s'égare sous les tropiques...
De
Jean Christophe Rufin
Editions Flammarion
272 p.
Notre recommandation
2/5

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Thème

Et voici une nouvelle enquête d'Aurel Timescu, personnage improbable d'origine roumaine récemment inventé par Jean Christophe Rufin. Diplomate calamiteux ,Timescu est, cette fois encore et toujours, consul adjoint après quarante ans d'une carrière médiocre. Maintenant il est en poste à Maputo, capitale du Mozambique ; il n'a toujours pas d'ambition, sinon celle de ne surtout pas se faire remarquer. Tapi dans l'ombre de ses dossiers et des bougainvilliers, c'est une plaie pour les collaborateurs de l'ambassade, un boulet pour ses supérieurs.

Mais attention, à mi chemin entre Hercule Poirot et l'inspecteur Colombo, il se révèle un redoutable enquêteur lorsqu'il pressent une injustice ou une erreur judiciaire. Et à l'ambassade de France de Maputo il va être servi : une figure locale, un expat' français ayant pas mal roulé sa bosse en Afrique, vestige quelque peu décati du colonialisme, est retrouvé mort flottant dans sa piscine à l'hôtel des Camaroes, sa propriété, situé au cœur d'un jardin tropical luxuriant.  Alors ce Béliot - c'est son nom - qui était-il ? Colérique, despote, un brin alcoolique, mélomane, il tirait quelques ficelles dans les milieux politiques locaux et européens. Mais surtout comme l'écrit Aurel de manière obsessionnelle : "Béliot était aimé". Trois femmes gravitaient autour de lui. Béliot était un séducteur.

Tout le monde l'aimait effectivement. L'hôtel des Camaroes était en quelque sorte le carrefour des confidences, le témoin des petits secrets complotistes, le confessionnal des trafiquants en tout genre. Et Béliot avait un associé très discret et... des dettes. Les policiers mozambicains vont aller vite en besogne et se forger une intime conviction, comme on dit même sous les tropiques. Tout comme Mortereau, le jeune Consul général très sûr de lui, qui charge Aurel d'une enquête parallèle... tout en essayant de garder la main. Commence pour Aurel Timescu , tout simple adjoint sans envergure qu'il est, un parcours du combattant inlassable pour dénoncer ce qu'il pense être une injustice et aider à la découverte de la vérité, malgré sa mise au placard. Et ça il aime ! Tant pis pour le scandale d'Etat...

Points forts

- Un vrai polar à la sauce africaine, épicé, coloré, sensuel mais pas trop, mené tambour battant par un " inspecteur " privé décalé et très couleur locale                                                        

 - La psychologie du personnage principal. Aurel le roumain, le nouvel héros de Jean Christophe Rufin, profondément humain, est un personnage sympathique, éternel rebelle, en lutte permanente contre les institutions, tout fripé et mal fagoté mais mélomane, et solide comme un roc. L'illustration parfaite d'une résistance passive qui lui  permet d'arriver à ses fins, mû par son intuition et ses seules convictions, au mépris de la hiérarchie.

- Un style fluide, des mots simples,  des mécanismes d'enquête accessibles et concrets. Le lecteur est vite au cœur du sujet et suit (trop?) aisément l'enquête, attaché aux basques de l'impayable Consul adjoint.

Quelques réserves

- L'intrigue. Un peu légère, les personnages féminins notamment manquent sinon d'épaisseur du moins de caractère. Mortereau ne fait pas le poids, les grandes "amoureuses" manquent de charme. L'ambassadeur ? Grotesque. Béliot, oui,  mais il meurt trop tôt.

- Caricatural. Nombre de clichés émaillent la deuxième partie (au moins) du livre. Exemples pour faire vite : l'ambassadeur , "chef de poste ". Son nom (dont on se fiche) : Jocelyn de Pellepoix de Neuville ; Aurel vient le déranger en pleine partie ... de golf, bien entendu. Voiture, grande et noire, avec chauffeur, normal. Nom du chauffeur : Norbert ! Et qu'est ce qu'on lit ? Témoignage Chrétien !

- Trop facile. On devine la conclusion des dizaines de pages avant l'annonce du pot aux roses... justement pendant la partie de golf. Et qui est coupable ? Elémentaire, mon cher Aurel (dans ces pays là ). Halte aux prédateurs ! Nous n'en dirons pas plus.

- Gadget. Par moment on pourrait se croire dans le "Bureau des Légendes" : depuis son rocking chair au crépuscule, Béliot actionne l'éclairage de sa piscine : bleu pour les trafiquants, vert pour les femmes, rose, c'est la police locale. C'est un signal. Chacun est prévenu, on ne mélange pas les visiteurs. Astucieux et c'est un ressort de l'enquête. Mais c'est trop !

Encore un mot...

Nous qui avons adoré Immortelle Randonnée, Le Grand Cœur, Rouge Brésil et même reconnu une force dramatique à Katiba, un cran en dessous, nous ne pouvons que regretter l'aspect terriblement anecdotique, manichéen voire simpliste de ces Trois femmes du Consul dont deux d'ailleurs ne font que de la figuration. Reconnaissons néanmoins que Aurel, Consul adjoint, limier loufoque et perspicace, incarne un personnage intéressant parce que complexe, décalé, dilettante mais sérieux dans l'exercice de sa passion et prêt à renverser la table. Gageons que l'auteur  a saisi dans ce deuxième volet de la saga initié par Le Suspendu de Conakry,  l'occasion de régler quelques comptes avec les us et coutumes en vigueur dans la Carrière.                                                                                                                                                          

Le véritable talent de Rufin se révèle davantage dans ceux de ses ouvrages ancrés dans l'Histoire ou dans un certain vécu de l'Aventure, au delà de la pure fiction. Son Excellence mérite mieux que ce genre de polar vite avalé.

Une phrase

(Les réflexions pensées d'Aurel, 20 minutes avant l'enterrement)

"Beliot était infidèle, rugueux, violent peut- être ; il ne faisait rien pour se rendre aimable mais c'était plus fort que lui : il suscitait l'amour ; Aurel s'était d'ailleurs demandé si les hommes qui ont cet étrange talent ne sont pas naturellement conduits à se rendre odieux. Pour rester libres,  ne pas être étouffés, respirer tout simplement... Bien sûr, l'amour n'exclut pas le crime. L'amour déçu, trahi, blessé, peut tuer. C'était cela, l'idée qu'il (Aurel) cherchait confusément pendant que Mortereau dissertait sur les questions d'héritage : bien avant de réfléchir aux circonstances matérielles, aux conflits d'intérêt, à l'héritage et aux mobiles du crime, il convenait de se poser une seule question : l'une de ces femmes était elle capable de tuer  Béliot ?"

L'auteur

Jean Christophe Rufin, 67 ans, personnalité multi-facettes attachante, est un écrivain atypique dont les romans reflètent ses voyages, sa carrière déjà longue, ses engagements altermondialistes et son attachement à l'Afrique

Il débute comme médecin neurologue, s'investit dans la vie associative humanitaire (il sera notamment vice président de Médecins sans Frontières), entre en politique dans différents cabinets ministériels (Monsieur Afrique de François Léotard ). Compagnon de route de Bernard Kouchner, il sera nommé ambassadeur au Sénégal et en Gambie ; écrivain surdoué il se voit décerner, pour commencer, le prix Goncourt du Premier Roman pour Abyssinie. Depuis il a écrit Les Causes perdues (prix Interallié), Rouge Brésil (prix Goncourt), Le Grand Cœur (la vie de Jacques Cœur), Le Collier Rouge, Immortelle randonnée, Check Point, Katiba, Le Tour du monde du roi Zibeline, etc. Pour couronner le tout, il est reçu à l'Académie Française en 2008. Il est réputé ne pas avoir la langue dans sa poche, ce qui lui a valu quelques avanies dans la Carrière, et aussi avoir la plume facile, ce qui lui a valu de nombreux succès d'édition.

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