Nouvelle vague

Plongée dans le cinéma des années 50 : un délice !
De
Patrick Roegiers
Grasset
Parution en avril 2023
424 pages
24€
Notre recommandation
4/5

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Thème

S’être gavé de films durant ces années de Nouvelle Vague est une chance inouïe. Le Chapitre 1 pose le décor, (les Champs Elysées, les cinémas de la Rive Gauche, les Cahiers) et présente les protagonistes de la fin des Années 50, écrivassiers vengeurs et cruels qui démolissent avec enthousiasme, Gauloise ou Boyard au bec, le « cinéma de papa » : Rivette, Doniol-Valcroze, Truffaut, Resnais, Rohmer, Godard que l’on retrouve tout au long des 24 chapitres.

On embraye tout de suite sur les idoles ou les ennemis jurés de ces loustics de bonne famille, avec peu de fric pour exprimer leurs ambitions en noir et blanc (la couleur apparait tard, fin des années 70) et leur version de la vie amoureuse ou sociale. Le regard est immédiat sur la seule fille de la bande : Agnès Varda et sa Cléo de 5 à 7(1962). 

Mais la bombe, avec A bout de souffle (1959) de Godard et le scandale, avec Les Amants (1958) de Malle ont déjà éclaté. Belmondo, choisi pour sa non-gueule de jeune premier et son Américaine en T-shirt, donnent un furieux coup de pied à l’ordre établi. Louis Malle ne fait pas partie de la Vague, il a démarré plus tôt, avec un culot monstre et beaucoup de chance (Le Monde du Silence) ; mais il accompagne toujours le mouvement novateur ; « grand bourgeois » comme il se définit lui-même, il dispose, avec ses succès immédiats, de l’argent pour tout tenter, y compris l’adultère provincial, et révéler au public des inconnus (Chap.4).

Les chapitres 2, 3 et 4 déploient Varda, Sabine Azéma, Dussollier, un hommage magnifique à Bardot (hilarant coup de patte à Jurgens subjugué par elle : « le plus mauvais acteur d’Europe »), Brialy caméléon, l’écriture de Godard. Le chapitre 5 raconte l’ambiguïté et le talent de Maurice Ronet, des anecdotes sur les seconds rôles que l’on rencontre dans presque tous les films, par fidèle amitié. Le 6 nous embarque chez Melville - jamais content - son foutu caractère et ses manies, et donne tout de même un bon point à Verneuil pour son Singe en hiver réconciliant l’ancienne et la nouvelle Vagues. Au passage, on croise un Delon aussi opaque qu’éblouissant.

Les portraits d’acteurs sont nombreux et décortiquent volontiers l’étrange alchimie du dédoublement des personnalités. Des portraits très pointus, souvent très drôles ou pathétiques : avec une précision d’entomologiste, Michel Bouquet (pour La Femme infidèle en 68),  Jean Pierre Bacri, Jacques Villeret (« j’aime jouer les cons »), Pierre Arditi, Antoine Doinel de son véritable nom Jean-Pierre Léaud sont contés avec jubilation :« Les acteurs ne meurent jamais » (P. 76).

Souvent la date et le lieu de naissance, la scolarité, la famille d’origine sont précisés, de même que les différents habitats, les mariages successifs (ou pas), les enfants, les amitiés et les brouilles. Nombre d’entre eux sont fils et filles de médecins ou de pharmaciens (le cinéma les soigne ou les guérit?), ont des parents trop occupés, absents, sont orphelins ou à demi,  comme Truffaut ou Jeanne Moreau. Le cinéma est alors une famille ?…

S’intercalent des extraits de dialogues, des réflexions incongrues, Bacri et Dussollier à la recherche d’un appartement où tourner, des couplets de chansons, des poésies, de prodigieuses divagations sur les aléas du métier. Les souvenirs et les images remontent, frais comme les gardons que Brialy pêche dans le Lac d’Annecy pour Rohmer. La liste des disparitions pendant l’écriture de ce livre (p. 423) met toutefois les pendules à l’heure.

Deux chapitres dialoguent avec le truculent Claude Chabrol (« je n’ai pas d’ego ») et sa relation avec ses acteurs ; un portrait magnifique de Stéphane Audran (née  Colette Dacheville, d’abord mariée à Trintignant qui la laissa pour Bardot),  son travail « en famille » et sa capacité à diriger « sans diriger » ses protagonistes, acceptant  des improvisations sur le schéma établi dans un cahier d’écolier.

Du chapitre 14 au 17, on s’attarde assez longuement sur  le mal épanoui Claude Sautet - que l’auteur semble beaucoup aimer - lequel, ni tout à fait ancien, ni vraiment moderne, n’est pas très original, voguant sur des torrents de larmes et de culpabilités, assumés par la géniale larmoyeuse Romy Schneider, avec laquelle il entretient une complicité profitable. Heureusement on croise aussi Sami Frey, Montand capricieux et bouillonnant, l’irremplaçable Jean-Loup Dabadie.

Ensuite, au long des 6 derniers chapitres, on visite les « grands » : Éric Rohmer, toujours énigmatique, “un personnage d’un autre temps”  (p.392) ludique, avec son Perceval (Luchini au début), Claire et son genou et surtout Maud et sa nuit (69) succès phénoménal ; voici Pialat qui se considère comme un « cinéaste abandonné » malgré un Van Gogh tardif mais éblouissant en dépit des difficultés de tournage. Alain Resnais est « un aventurier de la nouveauté » (p.304) de Marienbad à On connaît la chanson ; ce ne sont pas tellement les personnages qui l’intéressent mais plutôt l’ambiance, le mouvement, la tonalité du moment (Providence). Quel explorateur !

Points forts

La plume de Patrick Roegiers est légère, élégante, incisive, enthousiaste, drôle, parfois cruelle (il est Belge, avec ce sens inné de la dérision joyeuse), poétique ou rigoureuse, vagabonde ou précise, débordante de chaleur ou définitivement glaciale...Bref, ce roman inattendu est un délice d’érudition cinématographique et de subtile nostalgie.

On peut surtout retenir deux points phares :

1° la musique : fini les affreux tintamarres des films anciens ou des productions américaines : la Nouvelle Vague crée la « vraie musique de film ». Deux directions : l’utilisation des Classiques : c’est Chabrol qui commença, fauché, pour Le Beau Serge, par économie. Nombre de spectateurs découvrirent pour la première fois Mozart, les Gnossiennes de Satie, Donizetti ou Brahms en allant au cinéma. Et surtout, la Vague Nouvelle créa sa propre musique avec Martial Solal, Georges Delerue, Maxime Saury, et, bien sûr, Michel Legrand (qui joue Bob dans Cléo) bien avant les trouvailles de Jacques Demy. Louis Malle fit découvrir les improvisations de Miles Davis d’Ascenseur pour l’échafaud (57) enregistrées en une nuit. Ce ne sont que des exemples, dans la foisonnante production musicale de cette époque

2° Un immense et génial hommage aux Femmes : elles sont omniprésentes dans ce cinéma-là : belles, lumineuses, drôles, souvent perverses ou résolument mal élevées, tricheuses, intelligentes et culottées. Roegiers réserve des pages envoutées à Cléo (Corinne Marchand) mais son plus bel hommage va à Delphine Seyrig (p. 155/57) « sa peau de pétale d’une fraîcheur sans égal », sa voix si particulière, son phrasé, sa distinction, ses gestes mesurés, sa « façon de suspendre l’action et le verbe ». Il en est fou. Fabienne Tabard  (Baisers volés) reste à jamais au sommet de son panthéon personnel. On pense à Truffaut qui « aima » toutes ses interprètes de Jeanne Moreau à Fanny Ardant en passant par Claude Jade et Catherine Deneuve. Il y a les « muses » incontournables : Anna Karina, l’éphémère Jean Seberg, Bernadette Lafont (Une Belle fille comme moi) (72) Stéphane Audran (7 films avec Chabrol, plus son incroyable Festin de Babette en 87), Françoise Fabian tellement belle en Maud. C’était le temps béni où les femmes aimaient sereinement les hommes et où les hommes avaient le droit d’aimer les femmes sans risquer la correctionnelle.

La vie était simple et Jeanne Moreau chantait « les hommes y z’aiment les femmes à hommes ; les femmes elles z’aiment les hommes à femmes, un homme sans femme y reste en panne, une femme sans homme  elle n’a pas d’âme ». Que dire de plus ?

Quelques réserves

Conter tout ce que contiennent ces 424 pages serait lassant. L’ultime chapitre est un peu trop lourd, comme si l’auteur avait voulu y jeter tout ce qu’il n’a pu évoquer avant. Un peu comme du Fellini surabondant. Mais on termine avec Cléo, preuve d’une passion inextinguible...

Léger Bémol : pas un mot sur le divin Dragées au poivre de Jacques Baratier (1963), à sketches décoiffants, tellement drôle, un peu raté par endroits mais qui rassemble toute la nouvelle génération d’acteurs de Guy Bedos à Jean-Pierre  Marielle, d’Alexandra Stewart à Marina Vlady, mélangés à Micheline Presles, Francis Blanche, Jacques Dufilho et Sophie Desmarets. Et cette inoubliable chanson de Bassiak « « papa, je peux plus te blairer, tu m’as piqué ma peu-peu petite amie, Lili Gribouille qu’avait une si bonne bouille au lit... "

Encore un mot...

Roegiers aime les acteurs, surtout les actrices, et raffole des réalisateurs qu’il connaît bien : il raconte la besogneuse écriture préalable ou « pas d’écriture du tout », la caméra à l’épaule, le peu de moyens financiers, le tournage en décors naturels chez les copains, les maisons de campagne de la famille, les magnifiques éclairages de l’indispensable Raoul Coutard…

Ce roman permet de revivre avec gaieté les anciens émois des salles obscures (la plupart disparues) ; les plus jeunes découvrent cette belle plage de liberté totale, d’imaginaire sonore et visuel : plongée dans un univers passé mais encore très présent.

L'auteur

Patrick Roegiers a publié plusieurs romans chez Grasset. En plus de sa carrière d'écrivain, il est directeur de théâtre, metteur en scène, comédien. Né en Belgique en 1947, il vit en France depuis une quarantaine d'années. Il est reconnu comme un éminent spécialiste de cinéma et de photographie.

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