Paysage Perdu

C'est beau, c'est grand, c'est complexe, une vie !
De
Joyce Carol Oates
Editions Philippe Rey - 420 pages
Notre recommandation
5/5

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Thème

« Nos vies ne sont pas des romans, et les raconter comme des récits revient à les déformer »

« Paysage perdu » n’est pas une biographie à proprement parler, mais un ensemble de moments forts, reflets d’une vie bien remplie, ou comment le grand écrivain d’aujourd’hui existe déjà dans  la petite fille des années 40 : En une trentaine de  textes, écrits en ordre dispersé pour différentes  revues et longuement retravaillés, Joyce Carol Oates livre à son lecteur son être profond forgé par l’amour de sa famille, ses lectures, ses insomnies, son goût du travail et les paysages de son enfance.

L’auteur « met en mots » la pauvreté heureuse de ses jeunes parents et les tragédies familiales sous-jacentes, les vagabondages de la fillette intrépide et les drames de voisinage, les amies perdues et les études acharnées; en fait, tous les  caprices du destin qui ont nourri son œuvre, pour terminer par une citation d’ Henry James « Trois choses sont importantes dans la vie humaine. La première est d’avoir de l’empathie, la seconde d’avoir de l’empathie ; et la troisième d’avoir de l’empathie. »

Points forts

- L’amour émerveillé de J.C. Oates pour ses parents,  jamais démenti pendant 60 ans, au rebours de bien des écrivains qui jouent du  dénigrement familial comme faire-valoir

- Le sens aigu des portraits, cruels et tendres : les grands-parents hongrois bougons mais irremplaçables, l’héroïque directrice de « l’école à classe unique »,  l’amie brillante que ses complexes physiques mèneront au suicide, la petite sœur autiste murée dans son mutisme, l’universitaire hostile refusant son diplôme à la trop jeune mariée…

- L’absence de toute victimisation  qui amène la narratrice à modifier sa perception des choses puisqu’elle ne peut pas les changer : « J’imagine que nous étions pauvres, mais nous n’en avions pas l’impression ».

- La vraie pudeur qui préside à ce livre, à l’inverse des autofictions actuelles: « il n’est jamais bon de révéler l’intimité, fut-ce pour la célébrer ». Elle dit sobrement  sa rencontre avec celui qui deviendra son mari - « j’ai rencontré par hasard l’être qui allait changer ma vie, au point qu’il y a la vie menant à et la vie postérieure à »-, et ses craintes désormais multipliées par deux  pour « son bonheur, son bien-être. Sa carrière » 

Elle racontera dans un autre ouvrage, « j’ai réussi à rester en vie » (widow story), son deuil brutal après quarante-sept ans et vingt-sept jours de mariage mais ceci est une autre histoire.

- Les quelques photos illustrant cette jeunesse heureuse qui démentent le tableau d’Edward Hopper « Nigthawks »,  évoqué comme l’image glaçante de la société américaine d’après la grande dépression et  cruellement décrite  dans d’autres romans (Mudwoman - Eux -  La fille du fossoyeur…)

- Le style acéré et poétique, servi par l’excellente traduction de Claude Seban

Quelques réserves

- Quelques longueurs, en particulier l’accumulation de noms de lieux, de routes, de rues qui ne parlent pas au lecteur mais restent les marques indélébiles de l’écrivain en devenir

- Le « récit » peut sembler décousu (mais il l’est à la façon de la couverture patchwork offerte à Joyce Carol par sa mère et qu’elle garde toujours sur son lit)

Encore un mot...

« De l’enfant à l’écrivain » : Toute la pertinence de ce « paysage perdu » réside dans son sous-titre. Dans un entretien avec Télérama en février 2014, J.C. Oates  déclare: « J’observe, j’absorbe, et tout ressort dans mes livres » … Nous avons donc  là, loin du « vert paradis des amours enfantines »,  la quintessence de ce qu’a observé, senti, imaginé, jaugé la fillette qui est aujourd’hui une grande dame de la littérature.

Une phrase

A l’université de Madison, l’étudiante assume sa féminité mieux qu’une féministe :

« Jeune femme dans un monde essentiellement masculin, patriarcal et hiérarchique, étudiant dans un domaine où il n’y avait quasiment aucun professeur femme, je comprenais que demander compassion, protection ou pitié pouvait apporter un réconfort à court terme, mais qu’à long terme ce serait une erreur car, pour réussir dans ma profession, je devais être perçue comme un homme honoraire. »

L'auteur

Née en 1938 dans une petite ferme de  l’état de New York, J.C. Oates est l’auteur très prolixe de plus de 70 nouvelles, romans, poésies, pièces de théâtre  et essais ; sa palette s’étend de la saga gothique aux chroniques  sociales et ethniques marquées par l’ironie glacée qui est sa signature.

Elle a également écrit des romans policiers sous les  pseudonymes de Rosamond Smith et Lauren Kelly et trouvé le temps de poursuivre une carrière de professeur de littérature à l’université de Princeton jusqu’en 2014.

Pressentie plusieurs fois  pour le Nobel et le Pulitzer, elle s’est vu décerner le prix du National Book Award en 1970 pour son roman « Eux »  et le Femina Etranger pour « Les Chutes » en 2005.

En 2017, les éditons de l'Herne lui consacrent un Cahier .

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