Prisonnier du rêve écarlate

Un demi-siècle de l’histoire de l’Union soviétique et de la France. Un récit magnifique et poignant
De
Andreï Makine
Grasset
Parution le 2 janvier 2025
416 pages
23 euros
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Thème

Comment rêver encore lorsqu' on a passé de longues années de travaux forcés dans les camps du goulag stalinien? Que reste-t-il de vivant en nous? Qui sommes-nous, une fois la liberté retrouvée ? Ces questions déchirantes traversent ce nouveau roman de Makine. 

Le héros,  Lucien Baert est un jeune ouvrier français, un idéaliste qui croit aux promesses de la révolution bolchevique. Avec quelques camarades, le regard clair, le geste confiant, il part en voyage en 1939 en Russie, à la découverte de l' homme nouveau. Mais très vite, se profile derrière les villages Potemkine, l'envers du décor : ces travailleurs en usine, joyeux et disciplinés sont en fait des comédiens payés pour faire l'article. Ils jouent un rôle et Lucien ignore encore, que lui aussi un jour, devra porter le masque d' un autre. Déjà les dés ont roulé : le train qui les ramène en France s' arrête dans une gare perdue dans la steppe , Lucien descend un court instant, mais voici que le train repart sans lui. Il est accusé d' espionnage, prisonnier désormais du rêve écarlate. 

Début d'un long cauchemar : le froid glacial,  les coups, l' humiliation, les hommes tombent comme des mouches. La guerre gronde et pour se racheter, les prisonniers sont envoyés au front. Pour survivre, Lucien prend l' identité d'un autre, un ex-détenu tué par les soldats nazis. Désormais Lucien se nomme Matvei Belov. 

Amnistié en 1957 à la mort de Staline il va vivre de petits travaux dans une ferme dans la taïga. C'est une femme tendre et maternelle, Daria, qui l'aide à se reconstruire, à rassembler les lambeaux de sa mémoire, broyés par toutes ces années de souffrance. Qui est-il, quel est cet air ancien, cet adagio qui bourdonne parfois dans ses oreilles et fait remonter les larmes de l'enfance ? Daria l'encourage, le pousse à repartir en France, à retrouver sa patrie. Tu aimais notre pays et il t'a fait tant de mal dit -elle .

La France a changé, s' est métamorphosée, elle court à bride abattue vers la déesse Progrès. Ici les lendemains qui chantent portent le rêve de la société de consommation : insouciance, folle liberté, amour libre, rien ne compte, le tourbillon de la vie parisienne emporte Lucien. Ce dernier est fêté comme un héros, le rescapé de l'enfer soviétique devient la coqueluche des médias, il lui faut écrire un livre sur son expérience. Il doit, sur l' injonction de quelques intellectuels de gauche endosser un nouveau rôle, porter de nouveaux masques : du témoin déchiré au spécialiste omniscient des régimes totalitaires.

Lassitude, amertume, dégoût de soi et toujours cet adagio qui vibrionne, l'enserre, fait exploser son cerveau. Un jour, Lucien décide de repartir en Russie. 

Que va-t-il trouver dans cette Russie livrée au capitalisme sauvage et aux nouveaux riches?

Points forts

Un récit magnifique et poignant qui couvre un demi- siècle d' histoire franco- russe, véritable plaidoyer humaniste, où Makine pourfend à la fois l' hypocrisie occidentale et la barbarie stalinienne. 

La beauté sauvera le monde écrivait  Dostoïevski. Dans la tradition des grands écrivains russes, Makine nous présente une offrande, le portrait d' une femme, forte et généreuse, Daria, visage caché et lumineux de l' amour, la clé de l' oeuvre de notre académicien. 

Un hymne à la nature et aux grands espaces russes, vierges, pures, mais menacées, souillées par l'appétit de puissance des oligarques. 

Quelques réserves

Aucune. Makine for ever. 

Encore un mot...

Nostalgie, désir immense de fraternité, amour impossible, tous les ingrédients de " l' âme russe" sont réunis.

Une phrase

“Au retour,  Lucien s' arrête, va dans la forêt - un ruisseau qui contourne un gros rocher forme une bassine où l' eau a le goût des glaces souterraines. Il pense à la simplicité de cette vie. Quelques champs qui suffisent à nourrir les derniers habitants. La forêt avec son abondance de gibier, de baies, d' herbes médicinales, de champignons. Des vergers qui chaque automne débordent de fruits. Des rivières où un bout de filet se remplit de poissons. Et ces sources offrant une eau qui sent la fraîcheur des neiges…” (page 376)

L'auteur

Né en 1957 à Krasnoyarsk, Andreï Makine, membre de l’Académie française depuis 2016, a obtenu de nombreuses distinctions littéraires dont, en 1995, le prix Goncourt, le prix Goncourt des lycéens et le prix Médicis pour Le Testament français (Mercure de France).

Ses derniers livres, tous deux parus chez Grasset, sont L' Ami arménien (prix des Romancières 2021) et L' Ancien calendrier d'un amour (2023). 

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