Quichotte

Dans ce Quichotte en Amérique les moulins sont remplacés par la télévision et Dulcinée par une animatrice droguée...un roman d’une grande richesse et d’une grande humanité
De
Salman Rushdie
Traduction : Gérard Meudal - Actes Sud -
Parution le 2/09/20 -
426 p. -
23 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Lu / Vu par

Thème

En adoptant le personnage principal du roman de Cervantes, Salman Rushdie trouve la possibilité de critiquer, comme lui, mais plus gravement et plus sévèrement, les moeurs de son époque et particulièrement la vie américaine devenue la sienne par nécessité. D’une manière plus noire et désespérée, les moulins sont ici remplacés par la télévision qui tourne dans le vide et le combat par une soumission désespérante. Quant à Dulcinée c’est une animatrice dont la séduction et l'énergie tiennent pour une grande part aux drogues dures qu’elle se procure auprès d’un médecin ayant pignon sur rue, pétri de respectabilité et dont le seul but est de faire fortune.

Points forts

Comme son modèle le personnage de Quichotte (Don aurait été trop) est la proie d’hallucinations. Mais là où le premier était abruti par les livres de chevalerie, lui l’est par la télévision. Plus de quatre cents ans sont passés entre les deux !
Rushdie comme Cervantès  s'intéresse aux rapports entre réalité et fiction.  Quichotte comme Don Quichotte casse tous les codes et l’auteur est pris d’une sorte de jubilation à croire tout possible grâce à la littérature, jusqu’à la fin du monde.

C’est ainsi que réel et irréel se chevauchent dans l'île du réel ou île de Reil (du nom du savant allemand qui a décrit cette zone du cortex cérébral).
On assiste au chevauchement fantastique de la vraie vie et de la fiction et des destins croisés et superposés de l’auteur, Salman Rushdie, de l’auteur dans le roman, Brother, et de Quichotte.

Véritable road-movie, comme l'était aussi, avant l’heure, le modèle, le livre nous entraîne dans l'Amérique des motels sordides et des bars de seconde zone où règnent le racisme et les armes à feu.
Etrangement ce sont les personnages secondaires qui ont le plus de chair et qui font que l’on s’attache petit à petit au roman.
Notamment le Dr Smile, escroc dangereux et subtile, Miss R Salma (c’est la dulcinée pourrie par la vie moderne à New York) et encore Sister, l’avocate londonienne parfaitement conforme à ce que l’on en connaît.

Mais ce voyage critique de l'Amérique est aussi l’occasion pour Salman Rushdie de revivre ses souvenirs indiens évoqués grâce à la description luxuriante des appartements des personnages d’origine indienne mais sans oublier de condamner vigoureusement la culture machiste du viol et de l’agression sexuelle familiale dans tous les pays de l’asie du sud.
On le voit donc, un roman d’une très grande richesse (qu’il faut acheter aussi par solidarité à l’égard de l’auteur qui ne se plaint jamais de l'horrible persécution qu’il subit depuis plus de trente ans) dont ne sont pas exempts l’humour, une grande humanité et des thèmes  très  modernes comme les relations difficiles entre frères et soeurs lors de l'héritage des parents et celles, complexes, entre père et fils.

Quelques réserves

La richesse et la variété des thèmes abordés expliquent sans doute la difficulté à donner aux personnages principaux, ceux empruntés à Cervantes, une consistance réelle, au moins dans la première partie du livre, avant que le lecteur ne finisse par s’attacher à eux notamment quand ils rencontrent la maladie et la mort que Salman Rushdie décrit avec une crudité terrible.

Ceux qui attendent de la littérature la peinture d’un monde réel seront sans doute déroutés par les parties fantasmagoriques du roman qui, après  Cervantes, nous rapprochent d'Eugène Ionesco et de ses rhinocéros...

Encore un mot...

Un roman d’une très grande richesse, tour à tour critique de la vie américaine, comme Cervantes de son temps, se jouant du réel et de la fantasmagorie, mêlant les destins des personnages qui se font écho et pour finir d’une très grande humanité.

Une phrase

« Je le vois. Il regarde ce devoir d’histoire qu’il a rédigé avec le plus grand soin. Quelqu’un est venu en son absence et l’a déchiré en morceaux minuscules qu’il a laissés soigneusement empilés sur son bureau. Je le vois écrivant à son père des lettres remplies de faits imaginaires. J’ai marqué trente sept points aujourd’hui et rattrapé trois balles au vol. Il ne savait pas jouer au cricket mais dans ses lettres il était un champion. Voici ce qu’il ne racontait pas à son père. Il y a trois crimes que l’on peut commettre dans un pensionnat anglais. Être étranger, c’est le premier. Être intelligent, c’est le deuxième. Être mauvais en sports, c’est le troisième, vous êtes éliminé. On peut s’en sortir avec deux des trois défauts mais pas avec les trois à la fois. Si l’on est étranger et intelligent mais bon joueur de cricket, si l’on peut marquer trente-sept points et rattraper trois balles au vol, alors ça va. Si l’on est mauvais en sports et intelligent mais qu’on n’est pas étranger, on peut vous le pardonner. Si l’on est étranger et mauvais en sports mais pas très malin, on vous excuse, ça peut aller. Mais lui a le tiercé gagnant.»

L'auteur

Sir Ahmed Salman Rushdie est un écrivain britannique, né à Bombay en 1947. Il a passé toute son enfance en Inde jusqu’à l'âge de 13 ans quand il intègre un pensionnat en Angleterre puis le King’s college à Cambridge.

Ses oeuvres principales sont  Les enfants de minuit (1981),  Le dernier soupir du Maure (1995) et, bien sur,  Les versets sataniques (1988) qui lui ont valu, à son corps défendant, de passer à la postérité comme étant la cible, en 1989, d’une "fatwa", c’est à dire une condamnation à mort de l’ayatollah Khomeini, guide de la révolution iranienne.

Il a été anobli par la reine d’Angleterre en 2007.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
Ils viennent de sortir

Ils viennent de sortir