Source de chaleur

Pour les Aïnous de l’île de Sakhaline, comment survivre aux chocs des civilisations ? Une épopée bouleversante
De
Soichi Kawagoe
Belfond
Traduit du japonais par Patrick Honnoré
430 pages
24,00 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Ce livre est un roman historique qui décrit des événements réels et redonne vie à des protagonistes connus ayant marqué et été marqués par l’histoire de l’île de Sakhaline située à l’extrême Est de la Russie, dans l’Océan Pacifique, au-dessus des îles de l’archipel japonais.

L’auteur montre avec humanité les conséquences profondes sur les peuples autochtones des guerres entre la Russie et le Japon en vue d’annexer ce territoire au climat extrême mais à la situation géographique et aux ressources naturelles stratégiques. Avant la « récupération » de l’entièreté de l’île de Sakhaline par la Russie en 1945, le Japon avait effectivement annexé la moitié sud de l’île en 1905 et procédé à des déplacements de la population autochtone de culture Aïnoue, réimplantée dans l’île japonaise d'Hokkaido toute proche.

Le lecteur suit notamment la vie hors du commun de deux personnages principaux : Yayomanekh, un Aïnou qui rêve de revenir dans son île ancestrale où il est né et ce qu’il résultera de ce retour, et Bronislaw Pilsudski, un Polonais déporté à Sakhaline par les Russes qui s’attachera au peuple Aïnou et les aidera à sauver des pans entiers de leur culture.

Ainsi les chocs historiques de grandes civilisations de l’Ouest et de l’Est ont résonné dans cette île des confins, à travers l’action d’hommes courageux face aux attaques contre tout un peuple et déterminés à agir pour la survie de sa culture.

Points forts

Le lecteur parvient bien à sentir, au gré des pérégrinations des personnages, issus de cultures très diverses, les conséquences humaines profondes et dramatiques des changements consécutifs aux conquêtes guerrières :

  • Est clairement exprimée la dépossession des autochtones, et ce dans tous les domaines, patrimoniaux, linguistiques, culturels… Le tout particulièrement aggravé en cas de déplacements massifs forcés et de transplantation.

  • Sont bien décrites les difficultés de réadaptation lors du retour ultérieur, tant attendu et espéré, lorsqu’il a lieu non seulement dans un environnement naturel difficile mais aussi dans un cadre politique profondément remanié.   

  • Enfin on mesure bien le difficile, long et courageux combat nécessaire pour arriver à sauver une culture en danger.

Comme dans les pièces de théâtre, la liste des noms des principaux protagonistes, donnée en début de livre, est très utile. Elle permet de se familiariser avec ces multiples destins entrecroisés et les sonorités particulières des langues aïnoue, japonaise, russe et polonaise, qui ne sont pas familières à un lecteur francophone. Et ce d’autant plus qu’avec le déplacement forcé des populations au gré des conquêtes territoriales, un même individu était renommé dans la langue du nouvel occupant.

Quelques réserves

Aucune réserve pour cette épopée historique bouleversante.

Encore un mot...

Il est utile de se rendre compte des pertes irréparables qui découlent à très long terme des guerres d’annexion qui s’accompagnent toujours, au-delà des pertes et blessures humaines ainsi que des destructions d’infrastructures, de déplacements de populations plus ou moins importants et d'éradication planifiée des langues et des cultures.

L’île de Sakhaline a été un enjeu entre la Russie et le Japon il y a plus d’un siècle, pour des raisons finalement assez proches que celui, actuel, au sujet des îles Kouriles du sud  entre les mêmes puissances et, de l’autre côté du globe, celui qui menace les peuples inuits du nord du Canada et du Groenland et leur culture si spécifique et seule adaptée, depuis des siècles, à un milieu naturel hostile. 

Tout cela concourt à donner à ce livre, au-delà de sa valeur de témoignage historique, une réelle actualité. 

Une phrase

  • «…Ma déportation à Sakhaline m‘a plongée dans le désespoir. L’ennui, l’humidité, la neige, la taïga. La toundra gelée. On ne trouve rien d’autre ici. Je commençais à passer mes journées à parler aux sapins, mais les Gilyaks m’ont appris que j’étais un être humain et m’ont accueilli avec sympathie. Malheureusement ces pauvres Gilyaks sont confrontés à un terrible problème. Pas seulement les Gilyaks d’ailleurs. Tous les autochtones de l’île. Leur démographie est en baisse parce que la rencontre avec la civilisation les plonge dans une extrême confusion.»   (page 147)

  • « Un drapeau avec un disque rouge sur fond blanc flottait sur le flanc d’une colline avoisinante. La scène ne laissait pas Yayomanekh de marbre. Lui aussi s’angoissait de ce qui se passait sur son île. Mais pour exorciser son anxiété, il se répétait intérieurement le crédo qu’il avait commencé à élaborer depuis des années, et qu’il pensait à présent à peu près définitif : « Nos ancêtres ont vécu sur cette île en s’adaptant à ses conditions de froid intense. Aujourd’hui, quelque chose arrive qui a le visage du Soleil-Levant. Eh bien, nous nous y adapterons aussi ». »  (page 294)

L'auteur

Source de chaleur est le deuxième roman de Soichi Kawagoe, écrivain japonais né en 1978, mais le premier traduit en français. Il a été élu roman historique de l’année par les libraires japonais et a reçu le prix Naoki en 2020. Son premier roman avait déjà remporté le prix Seicho Matsumoto dans la catégorie révélation en 2018.

Patrick Honnoré, le traducteur, a un certificat de capacité en langue japonaise. Il a passé quatorze ans au Japon où il est diplômé en Sociologie comparée de l'Université de Tokyo. Il traduit des bandes dessinées et des romans japonais. Il est aussi directeur de la collection Picquier Manga.

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