Staline a bu la mer

Aral asséchée, entre farce et tragédie
De
Fabien Vinçon
Anne Carrière
Janvier 2023
272 pages
19 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Nous sommes au début des années 1950. Léonid Borisov, orphelin élevé dans la plus stricte orthodoxie du communisme soviétique, brillant ingénieur, est tout simplement chargé d'assécher la mer d'Aral, une mer intérieure d'Asie centrale. Pourquoi ? Parce que Joseph Staline  accuse la Mer d'Aral d'être à l'origine de ce vent fripon qui le frappe régulièrement à la fenêtre du Kremlin, et le laisse abattu et malade. Ce qu'aucun de ses médecins, ni brillants géographes, n'oseraient contredire. Et accessoirement, le Petit Père des peuples entreprend de lancer le Grand plan de transformation de la nature, qui prouvera au monde que l'Union des République Socialistes Soviétiques peut apporter le bonheur au peuple par tous les moyens, y compris en modifiant le climat. Discipliné, Leonid va s'atteler à la tâche, aux commandes de moyens gigantesques, d'ouvriers et de commissaires politiques zélés et détourner le cours des fleuves Amou et Syr -Daria qui irriguent la mer d’Aral; il va aussi rencontrer les Ouzbeks qui vivent en harmonie avec la mer, et accessoirement, un chef de tribu de moins en moins docile, une troublante métisse et au fil du chantier, ses propres doutes.         

Pas tout à fait fiction, cette histoire raconte, sans vraiment en travestir le cours et les conséquences, l'une des plus grandes entreprises de destruction d'un site naturel du 20ème siècle. Roman, elle imagine comment cela a pu être possible, laissant planer le doute, avec un humour piquant, sur la frontière entre l'un et l'autre.  

Points forts

Si l'histoire n'était vraie dans ses grandes lignes, on pourrait croire à un conte philosophique. En voici les principaux ingrédients :
- Des personnages archétypiques, comme Staline et le Mentor de Léonid. 
- Une quête surhumaine, et un preux disciple de l'orthodoxie (soviétique) pour l'accomplir.  
- De la certitude, des obstacles, une petite faille, le doute, puis la révolte. Attention, ce n'est pas le lieu de la révéler ici. 

Si ce n'est un point fort, le style de Fabien Vinçon mérite aussi un commentaire : l'usage du temps présent dans tout le récit, accompagné de phrases assez courtes et factuelles vous immergent sans "temps morts" dans la continuité des situations et des pensées des personnages. 

Enfin, quelques extraits des Robâiyât d'Omar Khayyâm, poète persan qui vécut probablement au premier siècle de l'an 1000, contribuent au choc des cultures dont ce roman témoigne.

Quelques réserves

Comme chaque sentiment est exprimé en temps "réel" et dans la continuité de l'histoire, il est peu laissé de place à la découverte de l'intrigue ou encore à la réflexion sur les pensées des personnages. Cette particularité du style citée plus haut, séduira ou suscitera des réserves.

Encore un mot...

Staline a bu la mer est une amusante découverte, pour une histoire édifiante et bien réelle, l'assèchement de la Mer d'Aral ! Orchestrée dans les années 1960, pour faire naître du désert des millions d'hectares de culture de coton, outre l'absurdité écologique, elle a eu pour prix l'exil des populations riveraines, privées de leurs ressources et de leurs traditions. A l'époque, le bonheur des peuples se décrétait au Kremlin. Fabien Vinçon en fait une farce parfois un peu "déjantée", dont la vérité absurde n'est pas aussi satirique qu'il n'y paraît. Le système de commandement, de contrôle idéologique et la force implacable du régime soviétique de l'époque ont accouché de ce que certains qualifient aujourd'hui "d'écocide du siècle". Et comme il n'en reste pas moins un divertissement, vous vous demanderez au fil des pages si l'ingénieur Léonid Borisov mérite rédemption, et comment elle pourrait  advenir. 

Née il y a environ 10.000 ans, privée aujourd'hui de 75% de sa surface et de 90% de son volume, grâce à ce roman et à quelques observations géologiques récentes, la mer d'Aral se refuse à un souvenir insignifiant, n'en déplaise à Staline !

Une phrase

"A la fin de l'été, l'Ingénieur-Amiral Aristote Bérézinsky envoie depuis Moscou une court télégramme destiné à être lu aux hommes du chantier pour fêter la deuxième année de  leur mission :
Ouvriers de choc, débarrassés de toutes les impuretés humaines,
Plus personne ne bride notre imagination
Nous avons le droit de rêver, de créer quelque chose d'immortel :
Voler jusqu'à la Lune, voir le drapeau socialiste flotter sur New York ou transformer le désert en une contrée verte et nourricière
Qui sera considérée comme la nouvelle merveille du monde !
A vos pioches !

Et revoici l'homme-pelleteuse, l'homme- béton, l'homme-piston, galvanisé, électrisé, lancé à plein régime. Comme tous les staliniens, les ouvriers brûlent d'énergie dans un monde d'illusion. Contempler ses hommes en plein labeur suffit à raffermir le jeune ingénieur, à lui rendre son cœur d'acier. Des milliers d'ouvriers poussiéreux, hirsutes, se remettent en mouvement au milieu d'engins de chantier démesurés qui crachent leur fumée noire. Regards brûlants, gorges encrassées, ils travaillent sur d'immenses levées de terre, futures murailles qui se dresseront bientôt face au fleuve. " P 81

L'auteur

Fabien Vinçon est écrivain. Il a publié aux éditions Anne Carrière en 2021 son premier roman, La Cul-singe, remarqué pour aborder le thème de l'inceste féminin.

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