Téléréalité

La téléréalité n’est pas aussi stupide qu’on le croit
De
Aurélien Bellanger
Gallimard, 4 mars 2021 -
245 pages - 19 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

« L’homme qui voulait faire de la télévision un art » est-il sobrement inscrit en 4ème de couverture du livre.

Le livre s’inspire de l’histoire du Tycoon de la téléréalité Stéphane Courbit qui est parti de sa Drôme natale pour créer un empire des médias autour de la télévision, qu’il a ensuite développé dans les secteurs des paris en ligne, de l’hôtellerie de luxe et de l’énergie.

Complètement inconnu du grand public alors qu’il a construit son succès phénoménal – sa légende serait-on presque tenté d’écrire et c’est le propos du livre – sur le phénomène de la téléréalité, c’est-à-dire la starification de personnes lambda à travers un dispositif très sophistiqué.

De ses années de lycée jusqu’à sa disparition des radars, c’est le récit haletant d’une success story professionnelle qui se confond avec une vie.

Sébastien Bitereau, le nom du héros dans le livre, aura sur la base d’intuitions géniales, d’habiles rencontres et de talents multiples, réussi à construire un empire. 

Points forts

Sébastien est un héros profondément balzacien : comme Raphaël de Valentin monté à Paris pour réussir dans La peau de chagrin, il est prêt à vendre son âme pour y parvenir. On retrouve dans Téléréalité la puissance de nombreuses destinées, aussi bien candidats que producteurs, que la télé a rendus fous en leur faisant perdre tout contrôle sur leur vie et le contact avec la réalité. Sébastien semble promis à cet avenir merveilleux qui porte en lui les germes de sa destruction. Téléréalité c’est La comédie Humaine 2.0.

Écrit en 51 jours, sur le rythme de 750 mots minimum par jour, Téléréalité est une œuvre à la fois littéraire et télévisuelle. Littéraire par la qualité de son intrigue, de ses personnages et de sa construction, télévisuelle par son sujet, son rythme, ses retournements de situations improbables.

Il est toujours passionnant de comprendre comment ces émissions totalement novatrices ont été imaginées, développées, réalisées, conceptualisées, et comment elles auront bouleversé la vie de leurs auteurs.

Aurélien Bellanger réussit parfaitement à inscrire le parcours d’un homme dans le cadre du véritable fait de société qu’est devenue la téléréalité.

Téléréalité c’est 20  ans de télévision à une époque – c’était avant que le web ne la fasse un peu tomber de son piédestal – où elle était à la fois incontournable et son propre sujet d’études. Retrouver Patrick Roy, Christophe Dechavanne, Jean-Luc Delarue, Arthur, Pascal Sevran, Thierry Ardisson, sous leur vrai ou un faux nom, a quelque chose d’assez jouissif, surtout pour la génération qui a vécu ses années. Pour les plus jeunes, le succès des Enfants de la télé tend à prouver que les grandes heures de télévision font partie de la culture populaire.

Passer du côté de ceux qui l’ont faite montre à quel point le talent et la créativité ne sont rien sans une personnalité, un caractère, une volonté et parfois une bonne dose d’opportunisme. 

Quelques réserves

La téléréalité fut une aventure exceptionnelle par sa réussite. Si elle enrichit ceux qui eurent la prémonition de son formidable potentiel, combien de destins gâchés et d’espoirs brisés ? Ce livre, dans lequel les héros de la téléréalité n’occupent qu’une place microscopique, aurait pu leur être dédié.

Encore un mot...

J’ai rencontré Stéphane Courbit dans les années 80 lors d’une émission de Ciel mon mardi consacrée aux supporters de football. L’équipe de Christophe Dechavanne, dont il était à l’époque l’assistant, était venue tourner un sujet sur l’appartement que je partageais avec deux amis et dans laquelle nous avions fondé un club des supporters … devant la télévision. Mais là n’est pas le sujet ! Nous avions sympathisé avec Stéphane et il était venu plusieurs fois jouer au foot avec nous les dimanches matins. Garçon extrêmement sympathique et brillant, mais de là à imaginer le retrouver 35 ans plus tard en héros de roman …

Une phrase

« Sébastien se rappela aussi sa montée à Paris, dans la voiture de Patrick Lepape, et de ce moment où l’employé de péage avait reconnu l’animateur. Lui, qui le reconnaîtrait ? Il avait jusque-là écarté toutes les demandes d’interview, presque aucune photo de lui n’existait, il n’y avait quasiment aucune archive : il était un fantôme, l’enfant discret et anonyme de sa vallée perdue. Et avec un frisson, il se demanda même si tout cela avait seulement eu lieu, quand il reconnut une mince créature qui s’échappait, dans sa direction, de la foule massée devant le Fouquet’s : c’était le tressautant Alain Minc.
- Cher Sébastien, j’ai appris, à l’instant, l’alliance entre van Dor et Mediaset, et je vous cherchais ».

L'auteur

Aurélien Bellanger s’est fait connaître dès son premier roman, La théorie de l’information en 2012 dans lequel il raconte l’histoire, romancée, de Xavier Niel, du minitel rose à l’internet. C’est un peu sur ce modèle qu’est construit son quatrième et dernier roman, Téléréalité. Entre temps, il aura fait paraître deux autres romans, L’aménagement du territoire, en 2017, histoire brillante et romanesque du développement du TGV dans notre pays et en 2019 Le continent de la douceur, une œuvre romanesque très subtile autour de la construction européenne.

Aurélien Bellanger a une personnalité riche et protéiforme, auteur de nouvelles, de pièces de théâtre et d’essais, chroniqueur dans les Matins de France Culture et la Clique de Mouloud Achour sur Canal + et enfin acteur dans plusieurs films de Justine Triet.

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