Toucher le vertige

De l’escalade comme prétexte à des vertiges philosophiques : original, séduisant … parfois pointu comme un sommet !
De
Arthur Lochmann
Editions Flammarion
Août 2021
198 pages
18 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Arthur Lochmann, le narrateur, entreprend avec une amie l'ascension d'un pic, l'Aiguille du Tour dans la chaine du Mont Blanc. Philosophe et charpentier,  il a l'expérience de la montagne, de l'altitude et du sentiment de vertige. Au rythme de la course, la montée, le bivouac, le sommet et la descente, en 4 chapitres, il mêle ses impressions d'alpiniste avec ses réflexions de philosophe. Car le vertige a quelque chose de profondément existentiel. C'est donc aussi en compagnie de grands maitres de la philosophie que nous sommes invités aux parallèles du vertige et de la perte de(s) sens, de la conscience du vide à la conscience du monde, des vertiges de l'illusion aux vertiges des engagements, en particulier devant la nécessité de préserver les grands équilibres de la planète.

Points forts

Voici donc un chemin escarpé pour une petite leçon de philosophie qui nous emmène aux sommets des Alpes, sans en avoir l'air.

Cet essai marie de façon originale un récit de course en montagne et des réflexions philosophiques. Le récit de cette ascension est simple, factuel, visuel, plaisant.

Ses détours philosophiques sont assez brefs pour ne pas lasser - mais n'en sont pas moins exigeants pour saisir les parallèles entre le vide et le sublime, le néant, l'être et le sens.

Ce voyage s'effectue sous la puissance réflexive de belles pages de Kant, de Descartes, de Roger Caillois ou encore de Sartre, dans des débats existentiels dont le vertige est autant le prétexte que le tremplin !

A noter encore une mise en page très aérée, inhabituelle dans la forme, ornée de rochers qui flottent pour illustrer le passage d'un chapitre à l'autre - ce qui n'est pas sans rappeler les décors vertigineux du film Avatar. Enfin, une vingtaine de pages de notes, très didactiques, rédigées comme de petits apartés, approfondissent utilement le propos sans surcharger le récit.

Quelques réserves

Eh bien, à l'image de l'ascension, il faut parfois s'accrocher ! Car si Arthur Lochmann est un incontestable vulgarisateur, il n'en est pas moins un philosophe pointu dans ses exégèses. Lecture soutenue nécessaire à mi temps, entre reprise de souffle et bivouac !

Encore un mot...

Un essai qui dissèque le vertige, c'est alléchant ! Ivresse du désordre des sens, perte de repères, court-circuit dans le fil de nos interprétations, le vertige est en effet riche d'enseignement sur nous-même. Dans ce récit, Arthur Lochmann a la bonne idée de nous proposer à la fois de l'éprouver, par le récit de montagne, de l'expliquer par la physiologie, de l'analyser par la philosophie. Disons les choses simplement - séduisant et exigeant, cet essai rappelle de belles pages de philosophie et nous ramène à ce qui fait sens dans nos vies, aux équilibres qui façonnent nos choix, à l'ivresse d'être ou au vertige du doute. Il est intéressant de le rapprocher de La Plénitude du vide, de l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan, qui explore et interroge à la fois le vertige des espaces infini et la question de l'enracinement de l'être dans un espace fini.

Une phrase

"Bref : bien que certains paysages ou phénomènes naturels soient plus susceptibles que d'autres à nous faire éprouver le vertige, ce ne sont jamais ces spectacles eux-mêmes qui peuvent les déclencher, mais la façon dont ils bousculent nos échelles de mesure, c'est-à-dire le rapport que nous entretenons avec eux. Le vertige est le moment  d'effondrement de cette relation, faute de proportion. " P 54

"Peu à peu, vient le début de l'aube. Le glacier n'est plus cette masse à nos pieds, crissante et froide. Il est devenu une nappe claire et presque lumineuse  d'où le jour semble se lever. Les reliefs se découpent et les profondeurs se révèlent. [… ] Le sublime dans le système kantien doit être recherché non dans le spectacle qui inspire ce sentiment, mais dans l'esprit de la personne qui le contemple et se trouve ainsi transformée." P 112 et 113

"L'un des petits mystères de nos humaines existences tient d'ailleurs à ce que nous parvenions à ne pas nous absorber constamment dans le sensible et le vertige. A ce que nous soyons capables de demeurer ainsi à la surface humaine des choses, le milieu fragile qu'est notre monde, quelque part entre le tout et le rien, entre l'absurde et le sublime. " P 137.

 

L'auteur

Arthur Lochmann est philosophe, charpentier et traducteur. Cette dernière qualité lui confère d'ailleurs une sensibilité particulière aux "vertiges" de l'interprétation des sens d'une langue à l'autre, navigant sur les fils de l'anglais, de l'allemand et du français ! Sur son expérience de 10 ans d'artisanat, il a écrit en 2019 La vie solide, La charpente comme éthique du faire, Prix Maurice Genevoix de l'Académie Française (éd. Payot et Rivages).

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