Tu seras mon père

Une quête du père disparu et une réflexion sur l’engagement politique. Un roman sensible et intéressant
De
Metin Arditi
Grasset
Parution le 27 avril 2022
363 pages
21,50 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

Renato Barro, beau et blond, sensible et cultivé, un peu étranger au monde qui l’entoure, est atteint d’une quasi-surdité corrigée par des prothèses qu’il néglige de porter ; fragilisé par la disparition brutale et prématurée de son père dont il s’imagine responsable, l’adolescence de ce garçon un peu étrange va errante et mélancolique.

A l’opposé de l’échiquier, Paolo Mantegazza évolue sous un nom d’emprunt en qualité de professeur au sein d’un collège suisse installé au bord du lac de Genève ; il dispense au profit des plus doués un cours de théâtre magistral sanctionné par la représentation d’une pièce à la fin de chaque trimestre, devant tous les parents réunis pour s’enivrer du talent de leurs rejetons. Cette année-là, le professeur va choisir à dessein A chacun sa vérité de Luigi Pirandello pour confier à son nouvel élève le rôle de Laudisi et lui apprendre ainsi que la vérité existe mais qu’elle est à géométrie variable, selon la place qu’on occupe dans sa famille ou dans la société.

Renato va vivre avec son mentor la relation du père qu’il a perdu quand Mantegazza va s’émerveiller du talent et de la sensibilité de son poulain, ces sentiments croisés se brisant sur un passé commun et leurs statuts réciproques. 

Points forts

- La transposition habile et l’illustration pédagogique de la pièce de Pirandello dans le roman.

- Une trame romanesque rebondissante, nourrie de personnages intéressants, ainsi au second plan, deux femmes essentielles à la maturité du héros, Rosa, la cuisinière qui a déjà élevé Francesco, son père, et qui aime les fils Barro comme une mère, encore Josy, une demi-mondaine d’origine américaine et danseuse de hip hop ; deux femmes qui aiment les hommes à leur manière et savent aussi s’en faire aimer. 

- Une réflexion intéressante sur l’engagement politique, sur l’intransigeance qu’elle peut quelquefois impliquer, sur la lutte armée qui l’accompagne avec son cortège de violences, d’actions irréversibles, de regrets à l’heure du bilan, l’auteur opposant l’engagement sincère du terroriste au crime qu’il implique.

Quelques réserves

La limite de l’imagination de l’auteur, à savoir l’invraisemblance du récit procédant parfois de ces rencontres supposées fortuites, chassés-croisés, relations naturelles ou induites, spontanées et commandées à la fois, ainsi notamment dans l’épilogue un peu “tiré par les cheveux…”

Encore un mot...

L’auteur puise dans son propre passé pour planter le décor de son roman, une institution suisse qu’il a lui-même fréquentée à sept ans. Il évoque ainsi l’exil de l’enfant, étranger à son propre pays, étranger à sa propre famille, à l’instar de son avant-dernier ouvrage, magistral et poétique, L’homme qui peignait les âmes. L’activisme politique et la violence des Brigades Rouges n’est qu’un prétexte au traitement de son sujet favori, la filiation et avec elle le transfert affectif, la quête de reconnaissance, le dialogue interrompu ou impossible…autant de voyages déjà explorés dans L’enfant qui mesurait le monde ou encore Mon père sur les épaules, une autre quête du père disparu. Disons que si le talent et l’imagination romanesques d’Arditi demeurent intacts dans cet ouvrage, le filon s’épuise un peu.

Une phrase

“ Sa vie avait été un sentier escarpé, chargé de ronces sur lesquelles ses illusions s’étaient accrochées, l’une après l’autre. Au moins se trouvait-il à son sommet, débarrassé d’elles, libre, pour le temps qu’il lui restait à vivre, d’écouter le vent siffler, dépouillé de toute illusion. Sans doute avait-il fallu qu’il s’appauvrisse ainsi, pour être heureux comme il l’était à cet instant, éperdu de bonheur à la lecture de l’un des plus beaux poèmes du monde, écrit dans une langue où éclataient à la fois la lumière et le désespoir.”

L'auteur

Metin Arditi est un écrivain suisse francophone d’origine turque. Physicien, Docteur de l’Université en physique et génie atomique (Lausanne et Stanford), il enseigne aussi l’économie, participe à la gestion du Polytechnicum de Lausanne, préside aux destinées de l’Orchestre de la Suisse romande, écrit des romans et des essais, rédige des  articles pour La Croix, accepte le titre d’ambassadeur de l’Unesco, plaide pour le discours interreligieux… Homme-orchestre au propre et au figuré, longtemps publié chez Actes Sud, il l’est aujourd’hui chez Grasset. Il a reçu de très nombreux prix et s’est même essayé au jeu du Dictionnaire amoureux, celui d'Istanbul (2022) et dans un autre genre, celui de  L’esprit français (2019).

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