Tu seras un homme, mon fils

Un portrait inattendu, saisissant et remarquable de Rudyard Kipling
De
Pierre Assouline
Editions Gallimard
296 p.
Notre recommandation
4/5

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Thème

A Londres, sur le parvis de l’abbaye de Westminster en 1941, Louis Lambert se souvient des funérailles de Rudyard Kipling cinq ans avant. Professeur de français au Lycée Janson-de- Sailly, il rêvait alors de proposer une nouvelle traduction à ses élèves du poème « If » qui avait changé le cours de sa vie. Il avait eu l’immense privilège d’approcher à plusieurs reprises l’auteur du Livre de la Jungle et de nouer avec lui des liens amicaux. Il revient sur quelques années de la vie de son écrivain préféré. Invité dans sa propriété du Sussex pour donner des cours de français à son fils John, dix-sept ans, il découvre la personnalité puissante de Kipling, qui écrase celle plus terne de ce jeune garçon. Nous sommes en avril 1914 … La guerre est pressentie par celui qui déteste autant les Allemands qu’il aime les Français ! Il exhorte John à porter l’uniforme. En dépit des refus, il intervient avec insistance pour qu’il soit incorporé dans un régiment d’irlandais. Le drame ne se fera pas attendre : en septembre 1915, à la bataille de Loos, il est tué d’une balle dans la tête, en sortant de sa tranchée. Après la disparition de sa fille aînée à six ans, Kipling est atteint une deuxième fois, frappé au plus profond de lui-même.

Le déni laisse place au remords, puisqu’il a quasiment forcé son fils à s’engager dans cette guerre d’une violence inouïe. Il se lance alors dans une quête désespérée pour tenter de retrouver les preuves de cette mort insupportable. Désormais cet homme brisé survit, comme habité par le souvenir de son fils, tout en gardant une dignité et une pudeur qui forcent le respect. La fameuse traduction du poème « If » apparaît dans un épilogue magnifique et symbolique, qui rapproche Louis Lambert de « cet homme que (s)on (propre) fils est devenu. »

Points forts

• Le point de vue choisi et imaginé par l’auteur, celui d’un professeur de lettres, admirateur de Kipling et de son poème célèbre dans le monde entier, qui dessine un portrait intimiste et lucide du Prix Nobel de littérature. 

• Le caractère romanesque de cette biographie, centrée sur l’homme qui a perdu ce fils, sur lequel il fondait tant d’espoirs et qui devait combattre à sa place en quelque sorte.  Sa culpabilité sera à la hauteur de son acharnement à lui imposer un rôle trop exigeant pour lui.

• Les contradictions et les excès de cet auteur britannique ressortent : ses haines contre les Allemands, les Juifs, les Irlandais et sa passion pour la France, sa deuxième patrie, ses colères exprimées dans ses tirades réactionnaires et sa clairvoyance politique, son esprit rebelle et son goût pour l’ordre, son individualisme forcené et son souci du sort des disparus. Au-delà de ses extravagances, Pierre Assouline nous le rend attachant par son refus des honneurs inutiles, sa passion pour les Rolls, sa nostalgie de l’Empire des Indes, où il est né, et son travail d’écrivain. 

• Des personnages secondaires marquants autour de Louis Lambert, comme sa grand-mère si intelligente ou sa femme lumineuse.

• Un détail touchant : Kipling payait un employé du cimetière de Loos pour qu’il joue tous les soirs en l’honneur de son fils The Last Post, La Sonnerie aux Morts.  

Quelques réserves

• Je n’en vois pas.

Encore un mot...

Pierre Assouline brosse un portrait inattendu, saisissant et remarquable de Rudyard Kipling. Il décrit  un personnage flamboyant et bouleversant, dont il efface volontairement la face sombre pour nous montrer plutôt la grandeur d’âme d’un homme inconsolable. On retrouve avec bonheur la belle plume inspirée de ce talentueux portraitiste, décidément doué pour rendre une vie romanesque.

Une phrase

« Le nom du père : une bénédiction et une malédiction. Pesant est l’héritage … pour qui a grandi dans un univers de grands idéaux … Le père avait mis si haut la barre pour le fils. » p. 93 

« Il lui semblait que le sort lui avait infligé une triple peine : d’abord la mort de l’être aimé ; puis la disparition de son corps ; enfin l’incapacité à s’accommoder de son absence. » p. 207

L'auteur

Né en 1953, Pierre Assouline, membre de l’Académie Goncourt depuis 2012, est journaliste, chroniqueur de radio, romancier et biographe. Il a raconté la vie de Dassault, Gaston Gallimard, Albert Londres, Cartier-Bresson, Camondo, Simenon, Hergé … Il est l’auteur, entre autres, de La Cliente (1998), de Double vie (2000), de Lutetia (2005), de Sigmaringen (2014).

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