
Affaires familiales
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Thème
Neuf rencontres de l’autrice, entre octobre 2023 et juin 2025, entre Paris, Milan et Barcelone, composées à partir d’une masse d’autres rencontres et de nombreuses heures de tournage dans lesquelles il a été fait des choix, sont portées à la scène par sept interprètes européen·nes.
Ce sont essentiellement des avocates et des justiciables qui parlent et animent ces neuf tableaux - l’amour et la loi, les limbes, la petite Madonna, les petits cailloux, l’empilement des décisions, l’association, la machine, Napoléon à la Cour européenne - qui évoquent le mariage pour tous, la GPA, la PMA et l’adoption pour les homosexuel·les, les soustractions d’enfants, l’inceste, le féminicide et les violences et le viol conjugaux, ainsi que les violences vicariantes (c’est-à-dire exercées contre les enfants afin de faire souffrir l’autre parent, très majoritairement la mère).
Tout ce que la mise en œuvre du droit doit à l’interprétation des juges, aux idées fausses, aux préjugés les plus anciens (« l’enfant parle trop bien, donc c’est la parole de la mère »), tout ce qu’elle suppose aussi d’infinies complexités et de nuances échappant à tout dogmatisme, est ici déplié.
Les propos sont rudes, certes, mais quand même, ça finit bien, par une victoire à la Cour européenne des droits de l’homme.
Points forts
On comprend avec ce spectacle à quel point aux et dans les affaires familiales comme ailleurs, tout est langage : discours, récit, prise de parole, puisqu’il s’agit de formuler l’intime dans l’espace juridique, de traduire l’expérience singulière et sensible en dossier judiciaire.
C’est pourquoi les interprètes parlent dans la langue d’origine de l’interviewé·e. Le sens se loge aussi dans les silences, les hésitations, le déplacement des corps sur cette scène bifrontale, blanche et lisse comme une page masquant un relief qui permet de marcher, d’enjamber, de s’accouder, de s’assoir, de se coucher. La projection simultanée des extraits d’interview en plans serrés confère à ce qui se passe sur scène la profondeur de la réalité.
Sans aucune lourdeur didactique, le spectacle offre un équilibre exceptionnel entre l’intime et le public, le privé et le politique, le singulier et le général qui crée ce moment « où on pense ensemble. »
Quelques réserves
Même si le respect de la langue originale est une idée intéressante et louable, la traduction de l’italien dans le 2e tableau altère un peu le rythme d’un ensemble déjà long.
La séquence "association", où les acteur·ices parlent depuis le public, est un peu difficile à suivre : l'intérêt de cette scénographie n’est pas patent.
Encore un mot...
Interrogeant le rapport entre droit et militantisme, Affaires familiales donne à voir une justice maltraitante, mais pas seulement parce qu’elle manque de moyens, même si évidemment cela aussi compte. Le droit est ainsi fait qu’on peut facilement l’utiliser pour conforter une vision patriarcale de la famille, ce que même des femmes n’hésitent pas à faire. • Le rôle des experts est fondamental dans l’approche judiciaire de la famille. Le maintien dans la famille, le refus de la famille homosexuelle, de la famille non biologique, tous ces fétiches font de la justice le miroir d’une société arc-boutée sur le totem familial.
C’est pourquoi, dès qu’il s’agit de famille - socle de tous les conservatismes possibles parce que c’est là, en ce lieu de l’intimité la plus stricte, que commence le premier rapport de domination - le droit et l’institution judiciaire peinent à faire face aux mutations sociétales.
La famille n’est pas qu’une affaire privée, c’est aussi un enjeu de société configuré par la justice et le droit.
Une phrase
« La langue du droit n’est pas la langue du commun. »
« Giorgia Meloni a fait de la GPA un crime universel, qualificatif en principe réservé à la pédophilie ou aux crimes de guerre. »
« Le droit des familles c’est de la souffrance. »
« Cet enfant il a grandi avec son père. Il ne le déteste pas. Cet enfant il aime son père. Il a juste besoin de retrouver sa mère, c’est pas la même chose. »
« Déposer plainte c’est se délester, reporter la responsabilité sur la justice. »
L'auteur
Artiste et directrice du Centre Dramatique National d’Orléans (CDNO), Émilie Rousset écrit des pièces (Reconstitution : Le Procès de Bobigny) et des films longs ou courts (Rituel 4 : Le Grand Débat, Les rituels) pour lesquels elle utilise l’archive et l’enquête documentaire.
A partir de ses collectes, Émilie Rousset invente des dispositifs dans lesquels des comédien-ne-s incarnent les paroles. Le montage qu’elle utilise joue sur le décalage entre le document et sa mise en scène pour mieux sonder le fonctionnement de notre société contemporaine.
Affaires Familiales a été créé en juillet 2025 lors du Festival d’Avignon.
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