Dom Juan

De
Molière
Mise en scène
Arnaud Denis
Avec
Arnaud Denis, Jean-Pierre Leroux, Alexandra Lemasson, Vincent Grass

Avec la troupe des Compagnons de la Chimère

Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014
Paris
0145454977
Jusqu'au 26 avril

Thème

"Dom Juan" est une pièce au destin curieux puisqu'elle ne connut qu'une quinzaine de représentations, triomphales, à sa création, en 1665, et ne fut jamais rejouée du vivant de Molière, dont il n'est pas exclu qu'il ait choisi, par cette abstention, de ménager le Roi, sensible à la nouvelle cabale que cette pièce avait suscitée.

C'est l'histoire - est-il besoin de le rappeler? - d'un grand séducteur qui a force de provocations à l'encontre des femmes, de son père et de Dieu, se retrouve en enfer.

Points forts


Ce spectacle, à bien des égards "déjanté" comme on dit aujourd'hui, vaut le détour pour toute une série de raisons :

1 Le style de Molière, dont on oublie parfois qu'il est souvent superbe. Ce texte en prose a, parfois, des grâces de poésie.

2 La vision très originale de la séduction, exprimée à travers Dom Juan et ramenée à une démonologie du pouvoir.
Dom Juan est beaucoup plus un"tombeur" qu'un séducteur hédoniste : il "tombe" les femmes, au sens littéral du terme. Ce qui se passe lorsqu'elles sont "allongées" n'est qu'accessoire. Dom Juan, ce n'est pas la métaphysique du sexe, joyeuse et exubérante, de Casanova à Henry Miller. Avec Dom Juan, on est vraiment dans le travestissement malsain de la séduction, du sexe et de l'amour, comme on peut l'être le plus souvent avec Sade, et souvent avec Laclos. Dommage pour lui car Done Elvire, incarnée ici par Alexandra Lemasson, avec élégance et dignité, mérite plus qu'un détour...

3 Le "message" des deux pages de l'Acte 4, Scène 4, où, à travers l'admonestation de Dom Louis à son fils - texte exprimé ici avec une sobriété bouleversante, toute en intériorité, par Vincent Grass -, Molière exprime sa réflexion sur l'aristocratie : dérives, défense et illustration. Ce court texte est, à mon avis, l'un des plus beaux textes écrits depuis Saint Louis et le Roi Arthur sur la dignité de service et d'honneur de la qualité de gentilhomme. Qualité qui s'est en partie diluée dès la Renaissance dans l'état de courtisan, état que Louis XIV abaissera parfois à celui de laquais, dans les antichambres de Versailles. Evolution qui trouvera, logiquement, sa sanction avec la Révolution française et que Chateaubriand a si excellemment résumée, en une phrase lapidaire du Livre 1°, Chapître 1, des "Mémoires d'Outre-Tombe" : "L'aristocratie a trois âges successifs : l'âge des supériorités, l'âge des privilèges, l'âge des vanités : sortie du premier, elle dégénère dans le second et s'éteint dans le dernier".

4 Et puis il y a, dans cette version, le double rôle d'Arnaud Denis :
 - Comme acteur : avec son ton extrêmement naturel, son débit très rapide, il nous donne un Dom Juan bouillant de tension intérieure, plus vrai que nature, complexe, provocateur, mais aussi sadique et pervers. Comme disait Napoléon de Talleyrand, ce Dom Juan-là, c'est vraiment "de la merde dans un bas de soie"...
 - comme metteur en scène : Arnaud Denis a l'énorme mérite de donner à cette oeuvre toute sa dimension tragique et métaphysique, de corps à corps vengeur avec le mystère de la destinée.

5 Vous vivrez deux grands moments de théâtre :
  - Lorsque Dom Juan et Sganarelle - incarné avec beaucoup de bon sens par Jean-Pierre Leroux - engagent, dans la lumière rouge sombre du coin du feu, leur grand dialogue sur le sens ultime des choses.
  - Lorsque, recevant Monsieur dimanche, son créancier, Dom Juan exprime tout ce que son personnage a de suffisant, d'arrogant, de perfide et de malsain.
 

Quelques réserves


Pourquoi ne pas le dire , "Dom Juan" est une oeuvre inégale :

1 C'est une pièce à thèse et on est parfois, dans la deuxième partie, plus à la tribune ou en chaire qu'au théâtre. Ca reste passionnant, pour ceux qui s'intéressent aux idées, mais ce n'est pas, dans ces moments-là, un modèle de construction théâtrale. Et le rythme s'en ressent. Pas du fait qu'il s'agisse de la seule pièce de Molière ne respectant pas les trois règles de l'unité de lieu, de temps et d'action. Certaines tirades sont pesantes. Et certains dialogues un peu longs; celui des frères d'Elvire, par exemple.

2 Mais ce qui, à mon avis, passe le moins bien, parce que très daté dans la manière choisie par Molière pour s'en prendre indirectement à la Contre-Réforme catholique, très en verve au temps de la jeunesse de Louis XIV, c'est le défi permanent de Dom Juan à Dieu et la fantasmagorie autour de la Statue du Commandeur.
 

Encore un mot...


En écoutant le grand morceau de bravoure de Dom Louis, je me disais qu'il y a de quoi être perplexe quand on constate  le décalage existant entre les préoccupations exprimées au théâtre depuis la rentrée de septembre, à travers au moins une dizaine de grandes oeuvres, et ce que nous offre le débat politique français ces derniers temps, période électorale ou pas...
On attribue au Général de Gaulle l'idée qu'il n'y a pas de grand politique sans culture et sans connaissance et compréhension de l'Histoire. Serait-ce  l'une des explications majeures de la déliquescence du débat politique aujourd'hui?

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