
Je m’appelle Adèle Bloom
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Thème
Dans le Canada d’après la Seconde Guerre mondiale, les malades internées à l’hôpital psychiatrique de Providence à Halifax vivent dans un climat d’anxiété généré par les mauvais traitements et des méthodes de soin sur le cerveau peu orthodoxes.
Adèle Bloom, jeune employée de la Poste s’adonnant à l’écriture, vient d’arriver, placée par sa mère. L'infirmière en chef menaçante, Miss Wilbord, et le médecin Walter Freeman y règnent par la terreur et par la pratique de la « lobotomie transorbitale », au point que Rosemary Kennedy en est devenue muette.
Seule l’amitié de Poppie, enfermée depuis longtemps, parvient à réconforter Adèle.
Points forts
Un texte très bien écrit, où la folie reste un “pas de côté“ par rapport aux normes brutalement imposées aux êtres et un récit en pointillé sur l’histoire de la folie et de son traitement médicalisé sans humanité. Il y a dans l’écriture de Franck Harscouët une dramaturgie de la chute dans l’abîme remarquable de précision. Le monde de la science n’est pas présenté sous son meilleur jour, mais il met en lumière l’irresponsabilité d’un corps médical qui parfois se prend pour “Dieu“ et qui n’est qu’un misérable “diable“ d’orgueil aux dépens de toute vie humaine.
Une mise en scène décloisonnée et statique, qui évoque néanmoins l’enfermement collectif et l’emprise des « soignants » dans un univers saturé d’inquiétudes et de menaces.
Des comédiens au jeu intense, au ton juste et émouvant :
l’incarnation d’Armelle Deutsch dans un personnage qui s’échappe d’elle-même, et dont la seule ressource pour ne pas couler est l’écriture ;
les métamorphoses de Sophie-Anne Lecesne, qui interprète successivement cette mère qui obsède sans cesse Adèle, les infirmières et l’amie internée ;
le charme vénéneux de Philippe d’Avilla en médecin tortionnaire et visionnaire ;
le toucher et la présence délicate de Laura Elko et de sa marionnette.
Quelques réserves
- Pas vu.
Encore un mot...
Dans l’univers de l’enfermement, les internées apprennent à compter les couteaux, à se maquiller pour le bal du samedi soir, mais doivent appréhender la punition comme une nécessité en vue d’une rééducation, jugée satisfaisante par le corps médical lorsque s’affiche un « éternel sourire » sur le visage.
La folie ressemble à une vie en plusieurs dimensions malgré l’atmosphère totalitaire qui règne dans l’hôpital. Pourtant, les soignants semblent plus possédés par cette maladie lorsqu’ils opèrent avec des pics à glace et tiennent des discours eugénistes aux accents nazis, prônant « l’hygiénisation mentale » d’une « société saine », protégée contre les fous assimilés à des « êtres inutiles ».
L’actualité nous a récemment illustré le propos tenu dans ce spectacle percutant, humain, déchirant, et qui se vit comme un roman. Allez vite en tourner les pages, c’est haletant !
Une phrase
Adèle : « Nous devons tous nous soumettre à Dieu. D’aussi longtemps que je me souvienne, on nous a toujours répété que c’était lui le sauveur qui a posé l’emplâtre sur les douleurs confuses de nos émotions et enlever les épingles tordues de la folie plantées à même notre esprit. Mais comment savoir s’il existe vraiment ? Le jour où j’ai commencé à fuir la vermine qui tentait sournoisement de se frayer un chemin à travers les fissures de mon esprit, j’ai suivi les pas de Dieu dans les dédales du sommeil des rêves... Mais quand je suis arrivée à destination, il n’y avait personne. »
« Au commencement des choses, j'avais revu le film de Truffaut Histoire d'Adèle H., puis Frances avec Jessica Lange - l'histoire réelle de cette actrice américaine (Frances Farmer) des années 1940 broyée par Hollywood - Mulholland Drive de David Lynch, et Shutter Island de Martin Scorcese... avant de me replonger dans la fascinante histoire de l'auteure néo-zélandaise Janet Frame avec son autobiographie Un Ange à ma Table.
La folie psychiatrique, la femme, la condition d'artiste : voilà des sujets profonds qui ont résonné avec grandeur dans mon cœur d'homme libre et sain d'esprit !
Un spectacle pour la scène sur l'incarcération psychiatrique d'une femme artiste ? La belle affaire... comment rendre contemporain et abordable un triangle de thèmes aussi lourds que féminité, folie et création ? Je n'avais pas envie, à l'instar de Sarah Kane dans son 4.48 Psychose, de livrer une œuvre radicale, pas plus que de finir comme la dramaturge britannique pendue à 28 ans à ses lacets dans les toilettes d'un hôpital... J'avais envie, curieusement, de parler de douceur, de récompense et de courage. Au-delà de tout, j'avais envie de parler de ce sujet si crucial aujourd'hui : quelle place notre monde donne-t-il à l'individu, à la femme entre autre et aux créateurs en particulier ? Et de s'interroger aussi sur ce sujet encore irrésolu de la folie psychiatrique : que faisons-nous de nos fous ? Quelle frontière sépare l'individu sain de l'individu malade ? Quelle compréhension pouvons-nous avoir de cette lézarde qui menace à tout moment de fissurer notre esprit ? »
(Extrait de la note d’intention de Franck Harscouët)
L'auteur
Franck Harscouët est auteur, comédien, metteur en scène et photographe. Son imaginaire à la fois littéraire, drôle et fantastique, évoque celui du Polonais Gombrowicz : Prenez Garde aux Petites Choses, Bienvenue à Tcheeeky Bang Bang, Sous le Ciel de Pékin, Anatole Croc a disparu.
Outre ses créations personnelles, il a mis en scène pour d'autres pièces Comtesse Frankenstein au Déjazet, C'est tout Droit ou l'Inverse d'Alice Pol au Théâtre Michel. Son goût pour la musique l'entraîne aussi vers la chanson et la comédie musicale : il a écrit Jonasz au grenier, qui fut un succès à Avignon en juillet 2023.
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