La Résistible Ascension d’Arturo Ui

Grande performance de Torreton
De
Bertold Brecht
Mise en scène
Dominique Pitoiset
Avec
Philippe Torreton. Et une troupe excellente.
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre " Les Gémeaux / Scène Nationale ».
49 avenue Georges-Clemenceau
92330
Sceaux
0146613667
ATTENTION: dernière, le 27 novembre 2016

Thème

Brecht définit sa pièce comme une « farce historique ». Écrite en 1941 quand la révoltante histoire de l’Europe s’écrivait, sous Hitler, cette satire  à laquelle Brecht pensait depuis 1934, nous parle, dans le texte original, du  trust mafieux des choux-fleurs et de l’ascension fulgurante d’un personnage inspiré par Hitler et par sa clique criminelle.

Dans la version de Dominique Pitoiset, on oublie les choux fleurs qui sont plutôt devenus des actions de grandes sociétés.   Nous sommes dans l’immense bureau contemporain d'un Conseil d’Administration et les coups bas et les meurtres ne sont pas virtuels. Le bandit initial, façon Al Capone, est devenu un homme d’affaires populiste, Arturo Ui, désireux d’accéder au pouvoir suprême. Pour impressionner les peuples, il prend des leçons de maintien avec  un comédien car il n’est ni «  bourgeois », ni «gentilhomme». Son  ascension ( « résistible », dans le sens où elle aurait pu être évitée) commence. Ici, la référence à Hitler est  gommée, et tournée vers la montée des populismes en Europe. 

On pense à l’élection présidentielle récente et soi disant inattendue d’un homme d’affaires américain, très blond, aux cheveux qui ont l’air d’une perruque envolée dans un coup de vent et dont l’épouse il y a peu, posait encore en string sur les ailes de l’avion de son mari. Bref, la réalité politique a atteint la cocasserie tragique d'une fiction. 

Points forts

Philippe Torreton incarne Arturo UI, après avoir surpris certains  en Cyrano de Bergerac moderne,  vêtu d’un « Marcel ». Mais n’oublions pas que Cyrano, le vrai, le poète du XVIIe siècle, fut un quasi clochard.

Torreton: un « grand acteur », comme l’on dit; et qui possède la simplicité d’un Michel Bouquet dont il a retenu la leçon: « Ne pas jouer mais convaincre ». Il a l’élan d’un tribun politique avec un ton restant toujours profondément humain. Il est drôle. Il s’est fait la silhouette peu flatteuse de cet "homme ordinaire" dont parlait Hannah Arendt. Car les criminels sont des hommes ordinaires.

Le décor du complice Pitoiset est parfait : dramaturgie esthétique, froide, funèbre. 
 

Quelques réserves

L’adaptation de la pièce se veut « loin de l’épique de dénonciation » cher à Brecht. Mais justement cet « épique » nous manque et cela nous « emporte » moins. La tendance actuelle est à traduire le scénario des pièces, pas la langue. Le pire étant certains spectacles annoncés «  d’après » tel ou tel grand dramaturge. Il ne faudrait pas en abuser car l’on y cherche parfois le style, la littérature, le théâtre.  Non, l’épique n’est pas ringard. On en veut encore.

Encore un mot...

Après les mises en scène de Jean Vilar, Georges Wilson, Heiner Müller, Jérôme Savary ( avec Guy Bedos)... cette vision 2016 vaut le déplacement, surtout pour la performance de Torreton.

Une phrase

Elle est de Philippe Torreton, l’acteur: « Jouer Arturo Ui, c’est m’engager dans la campagne présidentielle ».

L'auteur

Bertold Brecht est né en Bavière en 1898 et mort à Berlin-Est en 1956. Ces simples précisions  biographiques résument toute une vie. Il n’a jamais mentalement quitté les « forêts noires » de son enfance. L’Allemagne nazie le déchoit de sa nationalité en 1935; alors commence l’exil en Finlande  où il écrit son « Arturo Ui » puis il le monte, non sans difficulté, aux USA. 

Ce Brecht encore moqué par des personnes qui ne le connaissent pas , nous a laissé une oeuvre à la Shakespeare avec des pièces minutieusement construites et complexes : «  Dans la jungle des villes », « Homme pour homme », «  Mère Courage », « La vie de Galilée », «  Maître Puntila et son valet Matti » et ce merveilleux « Opéra de Quat’sous » sur une musique de Kurt Weil… 

Avec son actrice et épouse, la grande Hélène Weigel, ils fondèrent le fameux « Berliner Ensemble » et il mit au point sa « distanciation » théâtrale qui est en somme, une destruction des idéologies, une prise de distance  plutôt qu’une identification. 

On ne voit pas en quoi cela serait compliqué ou démodé. On n’est pas à la télé...

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