Le Bouquiniste Mendel

De la modestie comme un art de vivre et de jouer
D’après une nouvelle de Stefan Zweig
Adaptation : Jean-Luc Giorno
Mise en scène
Yves-Patrick Grima
Avec
Jean-Luc Giorno, Nicole Giorno
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

A la Folie théâtre
6 rue de la Folie Méricourt,
75011
Paris
0143 55 14 80
Jusqu’au 29 novembre. Vendredi et samedi 19h30.

Thème

  • De retour à Vienne dans les premières années du siècle, le narrateur se réfugie au café Gluck, pour échapper à la pluie. Il reconnait l’établissement pour avoir été, vingt ans auparavant, le havre de Jacob Mendel, juif exilé de Galicie, bouquiniste passionné et bibliophile intégral qui y tenait guichet ouvert grâce à la générosité attentionnée du patron et de ses employés.

  • L’homme a beau être chétif et peu ragoûtant physiquement, c’est un prodige intellectuel : capable d’une concentration totale – la concentration, « ce grand mystère des artistes et des savants, des sages véritables comme des fous complets » ainsi que le dit Zweig - il est doué d’une mémoire qui fait de lui un répertoire du savoir universel.  

  • Sa connaissance illimitée des livres, de leurs éditions successives et de la façon dont on peut se les procurer ainsi que sa générosité notoire font de lui la « mémoire du monde » et lui valent la célébrité auprès des amateurs de livres, ce qui lui attire nombre de visiteurs. 

  • Malgré cette notoriété et ses relations épistolaires et savantes avec les plus grands bibliophiles occidentaux, son petit commerce lui rapporte fort peu, tant il est indifférent aux questions d’argent et aux choses de ce monde d’une façon générale. Il mène néanmoins une vie paisible jusqu’à ce qu’éclate la Grande guerre et qu’il soit sommé de présenter des papiers qu’il n'a jamais eus. 

Points forts

  • L’adaptation de ce très joli texte à la chute ironique et joyeuse est irréprochable : elle lui restitue avec beaucoup de respect et de finesse sa coloration nostalgique et enthousiaste.

  • Dans un décor absolument nu et vide, à l’exception d’une mauvaise chaise de café en bois, une bande son très réussie suffit à évoquer les atmosphères de la rue et du café.

  • Jean-Luc Giorno est le narrateur, un ancien client de Jacob Mendel, mais aussi plusieurs personnages pittoresques ayant connu Mendel et parfois Mendel lui-même. Nicole Giorno, très juste, incarne la « dame des lavabos » du café Gluck, qui se souvient avec tendresse de Mendel.

  • Tout l’espace est donc à la disposition des comédiens qui, dans une mise en scène épurée, presque géométrique et par leur interprétation précise et habitée, dessinent un espace mental et imaginaire convaincant. On est bien dans la Vienne d’avant la guerre, connue et idéalisée par Zweig. 

Quelques réserves

  • On peut trouver la voix du comédien un peu métallique et regretter qu’il se positionne parfois trop près des spectateurs du premier rang, ce qui au fond n’est pas bien grave. 

  • Plus gênant est l’accent allemand prêté au gendarme borné qui arrête Mendel, dont on ne voit pas trop bien ce qu’il signifie ici.

Encore un mot...

  • Le bouquiniste Mendel célèbre une Vienne disparue adonnée aux choses de l’esprit et les respectant comme un trésor, un “Âge d'or“ de l'Europe dont Zweig a contribué à créer le mythe dans ses Souvenirs d’un Européen.

  • La Première Guerre mondiale a marqué la fin d’une époque heureuse et intellectuellement féconde, rendant le cosmopolitisme suspect voire condamnable, et substituant à la science et à la culture un matérialisme cupide et cynique. Zweig repère ici les signes du délitement d’une société qu’il a aimé, délitement qui n’en est qu’à ses prémisses. Il plaide contre l’obscurantisme que porte en elle une bureaucratie aveugle aux hommes et aux femmes et pusillanime, ainsi que les menaces de nationalisme et d’antisémitisme dont elle est grosse. 

  • Mais ce texte est aussi une démonstration de la manière dont des individus hors normes sont, quels que soient leur intelligence et leur savoir, anéantis par l’absurdité d’un système qui ne reconnait pas leur singularité et en fait des parias. Ce thème parcourt toute l’œuvre de l’écrivain, pour qui tout ce qui est unique devient plus précieux dans un monde qui s'uniformise sans retour. Thème aussi d’une brûlante actualité dans l’Europe d’aujourd’hui.

Une phrase

  • « Il lisait comme d'autres prient, comme des joueurs se passionnent pour leur partie, ou comme des ivrognes suivent une idée fixe. Je l'avais vu lire avec un recueillement si parfait, que la manière dont lisent les autres gens me semble, depuis lors, superficielle et profane. »

  • « Dans son monde supérieur, le monde des livres dans lequel vivait Jacob Mendel, il n’y avait pas de guerre. »

  • « Dans la mémoire de Jacob Mendel, un pilier avait cédé et toute la construction s’était effondrée. Mendel n’était plus Mendel, comme le monde n’était plus le monde. »

  • « On ne fait des livres que pour rester lié aux hommes par-delà la mort. »  

L'auteur

  • Publié en 1929, le Bouquiniste Mendel pourrait être considéré comme un texte mineur dans l’œuvre de ce maître de la nouvelle qu'est Stefan Zweig. Mais il porte en lui déjà la plupart des thèmes qui vont nourrir les textes de cet amoureux de la culture assistant impuissant à l’effacement de l’utopie européenne, et donc de l’idée d’un progrès de l’Histoire, et à l’écrasement de l’individu sous le poids d’un collectif aveugle.

  • Dans le Monde d’hier, souvenirs d’un européen, il note à la veille de son suicide : « Étranger partout, l'Europe est perdue pour moi... J'ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison (...). Cette pestilence des pestilences, le nationalisme, a empoisonné la fleur de notre culture européenne

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