Le Dernier Cèdre du Liban

L’héritage, un fardeau libérateur
De
ida Asgharzadeh
Durée : 1H15
Mise en scène
Nikola Carton
Avec
Maelis Adalle, Magali Genoud, Azeddine Benamara
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre de l’œuvre
55 rue de Clichy
75009
Paris
01 44 53 88 88
Jusqu’au 28 décembre 2025. Jusqu’au 4 Octobre, du Jeudi au samedi à 21h, le dimanche à 15h30. A partir du 9 octobre, du jeudi au samedi à 19h, le dimanche à 15h30

Thème

  • Eva, une jeune fille brillante mais surtout très en colère, est pensionnaire du centre d’éducation fermé pour mineurs de Mont de Marsan. Abandonnée à la naissance, elle ne sait strictement rien de ses parents. Pourtant, alors qu’elle n’a pas encore 18 ans, elle est convoquée chez un notaire qui lui apprend que sa mère biologique est morte il y a quelques mois et que non seulement elle l’avait bien reconnue à la naissance, mais qu’en plus, elle lui laisse un héritage : Eva reçoit une boite dans laquelle se trouvent des dizaines de micro-cassettes et un dictaphone.

  • La jeune femme va ainsi rencontrer sa mère au travers de longues heures d’enregistrement. La voix de celle-ci résonnera pour lui faire revivre en live ses heures les plus belles et les plus sombres : la guerre du Liban, le discours d’Arafat à L’Onu, la chute du mur de Berlin… Anna Duval était en effet grand reporter de guerre.

  • Eva découvrira la passion de sa mère pour ce métier dangereux où elle se tient systématiquement en équilibriste sur un fil entre la vie et la mort, et comprendra, à travers les grands récits du monde, sa grande Histoire à elle.

Points forts

  • Adepte de « l’espace vide » cher à Peter Brook, Nikola Carton a opté pour une scénographie minimaliste et transformable grâce au jeu de lumière et au travail sonore, rythmant ainsi les changements d’espace et de temps. Le spectateur se trouve plongé dans cette histoire puzzle, dont le rythme soutenu, passant du temps présent aux multiples souvenirs d’Anna, le laissera en haleine jusqu’au noir final. Cet espace vide permet aussi au spectateur plus de liberté quant à l’imaginaire, s’inventant ses propres espaces, ce qui lui donne la possibilité d’être actif par rapport au récit qu’on lui livre.

  • Sur le plateau, costumes et accessoires restent à portée de main des trois comédiens, et peuvent relier une histoire à l’autre, rapprochant ainsi deux espaces-temps, comme par exemple le sac de voyage d’Anna quand elle part en mission sur le front, qui devient le sac de punchingball d’Eva quand elle commence la boxe pour tenter d’extérioriser sa colère.

  • Ce dispositif permet aussi de faire les changements de personnages à vue, souvent grâce à un simple accessoire, d’une manière fluide et rapide, qui maintient le rythme effréné entre les récits de guerre et le temps présent et la rage grandissante d’Eva à mesure qu’elle écoute les cassettes.  Cela permet aussi de mettre en avant la virtuosité du comédien Azzeddine Benamara, qui endosse une dizaine de personnages différents (dont le merveilleux Tahar, amour d’Anna et père d’Eva) changeant de voix, de corps, de regard, en quelques secondes à peine, à l’aide seulement d’une poignée d’accessoires. 

  • Le travail du son joue un rôle clé, puisque l’unique héritage d’Eva et seul lien avec sa mère est à travers des enregistrements audio. La voix d’Anna enregistrée se fond avec la voix d’Anna sur le plateau. Tout le travail des bruitages pour nous plonger dans les souvenirs joyeux ou traumatiques est extrêmement réussi.

  • C’est un spectacle qui nous fait voyager à travers le temps pour nous faire revivre des heures sombres de notre histoire à travers le regard d’une photo-reporteuse de guerre, et qui questionne notre humanité, notre regard sur l’horreur. 

  • Ce spectacle montre aussi la difficulté de ce métier extrêmement périlleux qu’est le reportage de guerre. Pourquoi ces personnes sont prêtes à courir le risque de perdre la vie pour des guerres qui ne sont pas les leurs ? Comment peuvent-ils allier ce métier avec une vie normale ? Comment revenir à une vie normale alors qu’on est confronté à la mort et témoin des pires horreurs ? 

  • Anna n’arrivera pas à avorter de cet enfant qui pourtant l’empêche de faire son métier, comme un refus de donner elle-même la mort, mais ne sera pas capable de l’élever pour autant et la laissera donc se débrouiller seule dans la vie. 

  • Avec le personnage d’Eva, le spectacle nous questionne sur cette quête d’identité et l’héritage qui nous incombe. Comment se comprendre avec cet héritage et comment s’en détacher ? Eva a toujours été en colère, une colère qui la nourrit et qui la détruit, et cet héritage soudain qui lui raconte de manière extrêmement vive et précise son histoire, va d’abord donner raison à cette colère d’exister, mais va pouvoir finalement la libérer de ce poids de l’absence et de l’incompréhension, et même, peut-être arriver à pardonner cette mère qui l’a abandonnée.

Quelques réserves

  • Le personnage d’Anna, interprété par Magali Genoud de manière très réaliste, peut sembler légèrement caricatural : c’est une femme dure qui s’est construite en forteresse pour ne jamais se laisser atteindre par l’horreur, et qui donc boit, couche dès qu’elle le peut avec les hommes qui traversent sa route, refuse tout attachement avec un autre humain. Sa forteresse va évidemment se fissurer quand l’amour surgira malgré tout. 

  • Un amour dont Eva a justement été privée toute sa vie, et l’on peut se demander si envoyer ces cassettes racontant la vie d’une femme risquant sa vie pour les autres certes, mais faisant preuve aussi d’un grand égoïsme, est une preuve d’amour ou bien une sorte d’ « ego-trip » posthume.

Encore un mot...

  • C’est en apprenant la mort de Camille Lepage en Centre-Afrique, reporter de guerre, à seulement 26ans, qu’Aïda Asgharzadeh a eu envie d’écrire ce texte, et il résonne aujourd’hui de manière tragique face à l’actualité et aux nombreux journalistes morts cette dernière année seulement.

  • C’est peut-être difficile de le voir, mais l’amour est bien au centre de cette pièce. Le personnage d’Anna le dit : « il n’y a pas de place pour l’amour dans la guerre », et pourtant elle va vivre sa plus grande histoire d’amour au milieu du conflit, et elle va donner

Une phrase

  • Tahar : « Horsh Arz el-Rab, “la forêt des Cèdres de Dieu“. C’est un lieu un peu sacré pour nous. Au cœur de cette forêt, au milieu des autres cèdres centenaires, il y a un arbre noirci par le feu. C’est le seul. On dit qu’il a été foudroyé, comme ça, d’un seul coup. Un des plus vieux de la forêt. Il avait plus de 3000 ans, il parait. Quelques jours avant que tu arrives, je suis allé marcher à Bcharré. Jusqu’à cet arbre. J’ai gravi la montagne jusqu’à atteindre ce bois d’ébène. Et là, devant mes pieds, au creux de son tronc, j’y ai trouvé son fruit, intact. »

L'auteur

  • Aïda Asgharzadeh est également comédienne et metteuse en scène. Elle nait à Paris de parents iraniens réfugiés en France après l’arrivée au pouvoir des islamistes. Elle pose au cœur de ses créations la question de l’héritage, qu’il soit familial, social ou historique. Elle démarre sa formation au Sudden Théâtre puis se perfectionne au Studio théâtre d’Asnières. 

  • Aïda Asgharzadeh  se tourne vite vers l’écriture et le jeu, d’abord avec Les vibrants, créé à Avignon en 2014, puis avec La main de Léïla en 2016. Ces deux pièces lui valent des nominations aux Molières dont celle de meilleur auteur francophone.

  • Elle devient artiste associé au Théâtre de Gascogne pour la saison 2016/2017, où elle créé entre autres Le dernier cèdre du Liban.

  • En 2022, Aïda Asgharzadeh écrit et joue dans la pièce Les poupées persanes, mise en scène par Régis Vallée, qui sera nommée quatre fois aux Molières 2023, et récompensé par le Molière de l’auteur francophone vivant ainsi que le Molière du meilleur acteur dans un second rôle pour Kamel Isker, son partenaire de toujours.

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