
Le Double
Des trouvailles inégalement heureuses au service d’un conte fantastique dostoïevskien
De
Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski
Adaptation, mise en scène et interprétation : Henri Gruvman (avec le concours de Gérard Muller)
Notre recommandation
3/5
Infos & réservation
Théâtre de l’Epée de bois. Cartoucherie
Route du champ de manœuvre
75012
Paris
Jusqu’au 29 juin 2025 jeudi à samedi : 21h. Samedi et dimanche 16h30
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Thème
- Jacob Petrovitch Goliadkine, un petit fonctionnaire timoré et pusillanime demeurant à Saint-Pétersbourg, voue un culte à son « bienfaiteur », Olsoufi Ivanovitch Berendeïev, conseiller d’Etat et père de la jeune et belle Clara.
- Convié à l’anniversaire de cette dernière, il se réjouit de cette introduction dans la bonne société élégante et mondaine, mais redoute aussi d’y croiser son chef de bureau, Andreï Filippovitch, un « ours ».
- Las ! Goliadkine se voit refuser l’entrée de la maison, au motif qu’il aurait déplu à son supérieur en l’accusant plus ou moins ouvertement de favoritisme au profit de son neveu, Vladimir Semionovitch.
- Après avoir guetté les bruits de la fête dans le vestibule de la maison, il finit par forcer le passage, se ridiculise devant le grand monde et se fait expulser de la fête. Il rentre donc chez lui dans les rues froides de la ville où il croise un homme, solitaire comme lui, qui emprunte le même chemin et lui ressemble étrangement. Il invite alors l’inconnu à demeurer chez lui.
Points forts
- La complexité et la détresse de Goliadkine, caractéristique des personnages de Dostoïevski et qui le rendent à la fois déroutant et attachant.
- La mise en scène est à la fois astucieuse et élégante. En effet, dans le joli décor de boiserie du studio de l’Epée de bois, le protagoniste dialogue avec son double, le narrateur, qui apparaît sur un vaste écran. Ainsi le double devient triple… Les échanges avec les personnages filmés et les circulations autour de l’écran sont impeccables, fluides et précis, et assurent la porosité entre le réel et le rêve.
Quelques réserves
- Si le principe de l’écran est formidable, on peut en regretter une utilisation parfois un peu scolaire, notamment avec la projection des images fixes des portraits des personnages et des lieux évoqués.
- Même chose en ce qui concerne le recours aux chansons de Vladimir Vissotsky qui ressort un peu (trop) d’une inutile folklorisation anachronique. Du reste, le son n’est pas tout à fait au point : la voix de l’interprète est parfois presque couverte par la musique et certains enregistrements sont un peu forts.
Encore un mot...
- La tradition des contes populaires et fantastiques russes - slavophiles, et contempteurs de la civilisation occidentale moderne, bourgeoise et matérialiste - dont Gogol fut le promoteur, fait une large place aux humiliés et aux offensés de la société russe.
- Les Âmes mortes, était ainsi pour Dostoïevski une référence. Mêlant tragique et comique, sans décider si le récit est celui d’une hallucination ou d’un réel qui tangue, ces œuvres donnent une voix à des exclus avides de reconnaissance, non exempts de vilenie et de mesquinerie, et qui souffrent de n’être nulle part à leur place dans une société russe très fortement hiérarchisée, où chacun est tenu de tenir son rang et de respecter scrupuleusement les convenances sociales.
Une phrase
- « Je n’agis pas en-dessous mais ouvertement. (…) Je suis un homme simple, sans recherche, je n’ai pas de brillant extérieur. Je suis un homme, point. »
- « Trinquons à La Russie qui progresse d’heure en heure vers la perfection. »
- « Je protesterai… plus tard …ailleurs… »
L'auteur
- Le Double, œuvre de jeunesse et deuxième roman de Dostoïevski, fut publié en feuilleton en1846 dans Les Annales de la patrie. Contrairement au premier opus (Les Pauvres Gens), ce texte ne rencontre pas le succès. Nabokov considérait pourtant qu’il s’agissait là du meilleur livre de Dostoïevski.
- Après cinq années de bagne pour s’être lié avec des mouvements progressistes, Dostoïevski est incorporé dans un régiment sibérien et ne revient à Saint-Pétersbourg qu’en 1860. Il se remet alors à écrire avec passion, publie de nombreux textes dans des revues avant de lancer la sienne, L’Epoque, en 1861. Au même moment il retravaille Le Double. Ses grands romans sont publiés entre 1864 et sa mort, en 1881.
- Comme tant d’œuvres de Dostoïevski, Le Double a fait l’objet de deux adaptations cinématographiques : Partner, un film de Bernardo Bertolucci en 1968 et The Double, film britannique réalisé par Richard Ayoade en 2013.
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