LE GRAND JOUR

LAVER SON LINGE SALE EN FAMILLE POUR DECOUVRIR QUE L’ON S’AIME. MALGRE TOUT.
De
Fréderique Voruz
Mise en scène
Fréderique Voruz
Avec
Anaïs Ancel – Emmanuel Besnault – Victor Pradet – Aurore Frémont – Sylvain Jailloux – Rafaëla Jirkovsky – Eliot Maurel – Frédérique Voruz.
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre du Soleil – Cartoucherie
4 Rte du Champ de Manoeuvre
75012
Paris
07 51 22 10 13
Du 15 février au 5 mars 2023 – du mercredi au samedi à 20 h – le dimanche à 15h30

Thème

  • Ce grand jour, c’est celui de l’enterrement de la Mère, mère de trois garçons et de trois filles qu’elle a élevées toute seule. C’est aussi pour les enfants le jour de leurs retrouvailles. Ils sont grands maintenant, et ont vécu éloignés les uns des autres pour la plupart, avec des fortunes diverses. C’est enfin l’heure des règlements de compte : il y a toujours des sacrifiés, dans les familles nombreuses, et des enfants prodigues. 
  • La première scène est assez saisissante, très graphique et dramatique en même temps. Toute la famille, de noir vêtue, se serre sous un grand parapluie noir. Il pleut des cordes. Après la mise en bière, les six enfants sont réunis dans la cuisine pour partager  un repas frugal, mais où le vin coule à flot. 
  • La tension est palpable, puis soudain tout explose. Chacun parle plus vite qu’il ne pense, les colères montent, les sentiments sont à vif, la douleur de chacun se dissimule derrière sa rancune. On exhume les problèmes d’un passé enfoui très provisoirement, car maintenant, on a des comptes à régler. Dans la cuisine, à présent, c’est la famille qu’on enterre, car famille = égale traumatisme selon certains  psychanalystes. Comme le dit l’auteure : « La cuisine, sépulture des secrets de famille  devient le théâtre tragi-comique où s’agite l’ombre d’une mère omniprésente », dominatrice et castratrice, car elle en veut à tous les hommes, à l’instar de ceux qui l’ont fait souffrir. 
  • Cette “mère-courage“, dont le fantôme revient sur scène couché au milieu de ses fleurs ou consolant son chien,  ne se plaint jamais. Ce qui reste d’amour dans les yeux de ses enfants sera-t-il suffisant pour re-tisser les liens affectifs dans cette famille abîmée ? 
  • Le thème profond de cette création pourrait se résumer à ces questions : comment éviter “le mot de trop“ ? Comment ne pas franchir la ligne jaune de l’irréparable ? Thème lacanien s’il en est, et vécu par l’auteure dans son expérience personnelle avec ici une bonne dose d’humour (noir).

Points forts

  • L’interprétation exceptionnelle de Sylvain Jailloux dans le double rôle, d’une part de la Mère qui va claudiquant, et d’autre part du Père André, c’est-à-dire de Monsieur le curé qui est en même temps le père de Mona, la cadette. Il avoue son péché sur scène, séquence  désopilante. 
  • Cette Mona joue extrêmement bien également ; elle est interprétée par Rafaëla  Jirkovsky, toute de grâce, toute de féminité et  de charme, qui joue parfaitement son rôle de future maman. Elle voue à sa mère beaucoup d’affection et d’admiration,  ce qui est unique dans cette fratrie. 
  • Pratiquement tous les protagonistes sont à l’avenant, en particulier Aurore Frémont qui campe une autre fille, Gabrielle, homosexuelle assumée,  et dont la  compagne, Julie,  est assez irrésistible dans son rôle de “bébête“ pas si bête que ça.                                                                                               • La direction d’acteurs est remarquable avec, jouant avec les effets spéciaux (un splendide arrêt sur image comme au cinéma), des protagonistes qui entrent et sortent de l’ombre, tour à tour, et se mettent de temps en temps à chanter a capella, ou accompagnés au piano par leur frère Pierre, avec beaucoup d’intensité.
  • La mise en scène est terriblement efficace, toute en contraste et sobriété, jouant sur les trois fondamentaux d’un théâtre classique revisité, qui sont ici : 
    - un élément de décor central et unique, la table de cuisine, autour duquel gravitent tous les personnages y compris le fantôme de la mère qui apparait puis disparait dans le noir. Elle reviendra arc-boutée sur sa seule jambe valide devant ses fleurs abandonnées, le meilleur souvenir de sa vie ;
    - l’ingrédient-lumière qui permet les ellipses, les flashbacks, et découpe le temps, isole les personnages, enferme les frères et les sœurs dans leurs bulles de solitude et leurs mauvais souvenirs. La lumière qui sculpte les visages, souligne les émotions en noir et blanc ;                                                 – enfin, un élément sonore, avec la musique, les voix, les chants qui ponctuent les échanges. Chopin et ses Nocturnes, Vivaldi et une de ses Saisons, jouées par Pierre, le plus sage, sur son piano à roulettes                                                                      
  • Enfin de l’émotion, beaucoup d’émotion. Qui ne serait pas ému par l’ingratitude dont font part certains enfants à l’égard de leur mère ? A l’opposé, qui ne pourrait comprendre  la frustration de certains enfants devant le despotisme parental et leur désarroi devant l’absence du père ?

Quelques réserves

On peut en trouver quelques-unes, en cherchant bien.

  • Le  sujet est  grave, le thème pourrait être insoutenable pour certains, avec les mots très durs lancés à l’adresse du fantôme de la mère, et quelques images scabreuses de son corps. 
  • De même, le dérapage du Père devant Dieu. Mais  ce thème est ici traité avec  légèreté et humour grâce au personnage de Mona.

Encore un mot...

Il revient à la superbe voix de Mona de nous le chanter, via un poème funèbre du style  « J’ai le cœur qui flanche quand je te vois toute blanche». Un grand jour, vraiment. Pour les spectateurs aussi.

Une phrase

Simon : « Ah, parce que qu’il faut s’être fait violer dans une cave pour avoir le droit de souffrir ? »
Gabrielle : « 
Mais non, ne t’en fais pas tu as le droit de souffrir, mon lapin, on le saura que tu as souffert, mais déségocentrise-toi un peu ! »
Mona : « 
Calmez-vous, parce que, énergétiquement, c’est vraiment terrible. L’âme de maman est encore là, autour de nous, et on pourrait tenter de lui rendre hommage, de gérer nos conflits plus tard, enfin pas là quoi, pas aujourd’hui. C’est glauque, vraiment ! »
Gabrielle : « 
Quelle famille affligeante, c’est tellement triste… »

L'auteur

  •  Frédérique Voruz est l’auteure mais aussi la metteure en scène de Ce Grand Jour. Cette adepte de Jacques Lacan et du psychanalyste Jacques-Alain Miller (Ecole de la cause freudienne) tient le rôle de cette sœur ainée qui enrégimente toute la famille et s’est dévouée auprès de sa mère pendant de longues années.
  • Fr. Voruz a débuté entre 2009 et 2013 dans la pièce Les Naufragés du Fol espoir, mise en scène d’Ariane Mnouchkine, et dans son adaptation pour la télévision réalisée par la directrice du Théâtre du Soleil. 
  • Elle a joué entre 2016 et 2019 dans Kanata, mis en scène par Robert Lepage et que Culture-Tops avait vu et apprécié au Théâtre du Soleil et avant, dans Macbeth, mise en scène par Ariane Mnouchkine.
  • Entre 2018 et 2022 la comédienne a créé et interprété  Lalalangue,  mis en scène par Simon Abkarian au théâtre du Soleil et au théâtre du Rond- Point. Elle vient de se produire dans Electre des bas-fonds de Simon Abkarian. Elle a aussi tourné dans plusieurs fictions.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Toujours à l'affiche

Théâtre
Darius
De
Jean-Benoît Patricot