Terrasses

Nous resterons tristes longtemps mais pas terrifiés. Pas terrassés
De
Laurent Gaudé
Mise en scène
Denis Marleau
Avec
Anastasia Andrushkevich, Marilou Aussilloux, Sarah Cavalli Pernod, Orlène Dabadie, Daniel Delabesse, Axel Ferreira, Charlotte Krenz, Marie-Pier Labrecque, Jocelyn Lagarrigue, Victor de Oliveira, Alice Rahimi, Lucile Roche, Nathanael Rutter ...
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun,
75020
Paris
01 44 62 52 52
Jusqu’au 9 juin 2024. Du mercredi au samedi à 20H30, le mardi à 19H30, et le dimanche à 16H

Thème

  • Sous forme de poème élégiaque, porté par dix-sept voix qui forment un chœur polyphonique, Terrasses retrace les événements de novembre 2015 qui ont plongé Paris dans un cauchemar absolu et un deuil encore si présent, presque dix ans après. Les dix-sept comédiens forment un chœur, un “nous“, entrelaçant les voix des victimes, passants, secouristes, policiers, infirmières, parents, pour construire un chant commun à opposer à la terreur. Face à la barbarie, célébrer l’humanité restée debout.

  • La pièce débute comme le chœur antique d’une tragédie : un matin comme un autre, un doux soleil d’automne qui annonce une belle journée qui pourtant s’achèvera dans le sang. • Pour s’échapper du réalisme documentaire des témoignages, Laurent Gaudé a choisi d’entremêler les paroles des morts et des vivants, de faire vivre aux mêmes victimes à la fois l’attentat de la première terrasse, de la seconde, et du Bataclan, comme une course effrénée contre la mort. 

  • Le hasard est le fil conducteur du récit proposé par Laurent Gaudé. Le hasard comme figure de la mort, qui a placé sur sa route ce soir-là tous ces êtres aux fonctions et aux existences diverses, et qui ont vu leur destin basculer. Le dramaturge place dans la tête de chacun de ses personnages la prescience de ce qui va advenir :

    • il y a ces deux jeunes filles qui ont promis ce soir de sceller leur immense amour, et qui savourent chaque instant, chaque détail de l’autre, qui vont chercher coûte que coûte à combattre l’horreur, à déjouer la mort, pour parvenir à jouir d’une étreinte, d’un baiser, et de laisser leur amour éclater dans toute sa force et sa liberté ;

    • il y a ces deux jumelles qui se retrouvent pour leur anniversaire, comme elles ont toujours réussi à faire : être à tout prix ensemble le jour de leur naissance et ce soir, celui de leur mort ; 

    • il y a cette jeune mère, qui s’est bêtement fâchée avec son compagnon et qui vient chercher un moment de liberté et de “lâcher-prise“ en dansant devant un groupe de musique ;

    • … et puis il y a tous ceux qui ont aidé de près ou de loin cette nuit-là, qui ont vaincu l’horreur par un geste, un mot, un regard, par la simple démonstration de leur humanité.

Points forts

  • La scénographie nous plonge d’emblée dans une atmosphère tragique, sur un plateau nu de couleur noire, les personnages vont être soumis à l’instabilité d’un sol mouvant, certains mis en lumière vont toucher du bout des doigts d’autres, plongés dans l’obscurité la plus totale, exprimant avec force et pudeur le lien qui nous a tous unis entre les morts et les vivants ce soir-là. 

  • Sans jamais donner voix aux terroristes, Laurent Gaudé ose faire surgir la lumière dans l’épouvante et le drame, en créant la possibilité d’un amour qui triompherait, de la vie qui continuerait. Toutes les voix sur le plateau, vivantes et mortes, affirment haut et fort leur désir de vivre, sans peur. 

  • C’est par ces récits de l’intime, de la banalité du quotidien et de la beauté de cette banalité, que le texte nous bouleverse et que l’on s’identifie à chaque voix. 

Quelques réserves

  • Il est possible, voire probable, que tenir plus de deux heures à réactiver le souvenir traumatique de ces évènements soit trop pénible pour certains, ou que le temps paraisse long et que l’envie de s’échapper de la salle se fasse sentir…

Encore un mot...

  • La grande pudeur des mots de Gaudé, la sobriété de la mise en scène, sa précision, sa volonté de ne jamais tomber dans le pathos mais au contraire de rendre puissante chaque voix de toutes ces victimes nous permet, nous, spectateur, d’accepter de revivre ce traumatisme, ensemble. Car il s’agit bien de cela : d’un « nous » qui se forme sur le plateau, mais dans la salle aussi… 

  • Le temps des deux heures et quelques de la pièce, nous ne formons plus qu’un à nouveau, un « nous » qui se remémore la tragédie collective que nous avons vécue. Et le fait de se sentir ensemble dans la douleur, décuple notre force et l’on sort du théâtre le cœur lourd et endeuillé certes, mais l’envie plus que jamais de se serrer dans les bras, de crier notre amour, de vivre libres. 

Une phrase

  • « CHŒUR DE CE MATIN-LÀ : 
    La journée passe.
    Pour nous tous.
    Bientôt, il sera difficile d’en dire quoi que ce soit.
    Nous oublierons les regards que nous avons échangés, les mots que nous avons adressés, les gens que nous avons vus.
    Nous oublierons si c’était une bonne ou une mauvaise journée.
    Mais pour l’heure, c’est un jour comme un autre – ce qui veut dire banal pour certains, extraordinaire pour d’autres.
    D’aucuns sont restés chez eux, d’autres ont raté leur bus, oublié leur rendez-vous. 
    Il en est qui se sont séparés, d’autres qui ont été déçus.
    Pour la plupart, nous avons travaillé, rêvé, mangé.
    Nous avons fait des projets.
    Un jour normal – ce qui veut dire que rien n’a empêché le cours de nos vies.
    Certains ont été chanceux, d’autres pas, mais ce n’est pas cela qui va marquer cette journée.
    Bientôt nous oublierons, parce que tout ce qui précède va être avalé par ce qui vient.
    C’est comme un trou noir en fin de journée qui va dévorer tout ce que nous aurons vécu pour arriver jusqu’à lui.
    Seul compte l’abîme. Et il est tout près. »

  • « Il est là. Le hasard. Il s’avance, descend la rue de son pas irrégulier, murmurant entre ses dents une chanson au refrain effrayant : « toi, oui…toi, pas… » Mais qui l’entend pour l’instant ? Qui se doute qu’il est venu pour régner et que c’est lui, désormais, qui va décider de nous, décider de tout". 

  •  « Tu devras être libre, parce que c’est de ça que je meurs. »

L'auteur

  • Romancier, nouvelliste et dramaturge né en 1972, Laurent Gaudé fait des études de lettres modernes et d’études théâtrales à Paris. En 1997, il publie sa première pièce, Onysos le furieux, qui sera monté en 2000 au Théâtre National de Strasbourg. Suivront alors des années consacrées à l’écriture théâtrale. 

  • Son premier roman, Cris, est publié en 2001. Avec La mort du roi Tsongor, il obtient l’année suivante le prix Goncourt des lycéens et le prix des libraires. En 2004, il est lauréat du prix Goncourt pour Le soleil des Scorta, un roman traduit dans trente-six pays. Dernièrement il est récompensé du prix des écrivains du sud pour Chien 51 et du prix Castel pour Paris, mille vies.

  • Depuis 2013, Gaudé effectue des voyages, comme à Port au Prince, dans le Kurdistan irakien, le Bangladesh, ou la jungle de Calais, qui donnent lieu à des reportages. De ces expériences est né un recueil de poèmes, De sang et de lumière, publié en 2017.

  • L’œuvre de Laurent Gaudé est publiée par Acte Sud et traduite dans le monde entier.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Toujours à l'affiche